Admirer les églises, en comprendre le sens

 

Traduction du mot latin ecclesia, venu du grec ancien ekklesia, (selon certaines sources, ce mot proviendrait de kuriakon c'est à dire la maison du Seigneur *) qui désigne l’assemblée, le terme église a deux sens bien distincts et de niveaux différents. Il signale en effet le bâtiment, visible et reconnaissable, qu’il soit grandiose édifice dans les villes ou humble construction dans les campagnes. Entre la cathédrale, la collégiale et la chapelle se déploie une ample gamme de styles et d’objectifs. Il se rapporte aussi à l’institution qui a pris corps au début du Christianisme et de là, à la communauté qu’elle représente. L’évangéliste Mathieu et Saint Paul en font mention dans certains textes. Les mots catholique d’une part, apostolique d’autre part, qui prennent à nouveau leurs racines dans le latin catholicus dérivant du grec katholikos signifiant universel et apostolicus issu du grec Apostolos qui désigne l’apôtre à savoir « l’envoyé », s’y ajoutent souvent et lui donnent ses dimensions particulières.

 

Dès les premiers temps, en Terre Sainte, plus tard à Rome, des sites sont réservés au culte chrétien. Une fresque dans la sacristie de l’actuelle basilique Saint Pierre, au Vatican, montre la structure de la basilique homonyme élevée par Constantin, présentant ce qui constitue déjà une haute nef centrale et des bas-côtés latéraux, disposition qui sera reprise plus tard et qui a commandé pendant des siècles les plans des églises à venir. Une autre fresque, celle de l’abside occidentale de l’abbaye Sant’Angelo in Formis, à Capoue, en Campanie, met en scène l’abbé Désidérius** offrant la maquette de l’église au Christ. Une note précise par ailleurs que cette église est « une basilique à trois nefs, sans transept, se terminant par trois absides. Elle s'ouvre sur un portique à cinq arcades en ogive soutenues par des colonnes récupérées sur des monuments d'époque gréco-romaine. L'arche centrale, plus haute, indique l'élévation de la nef centrale au-dessus des bas-côtés. Le registre inférieur est construit en pierre de taille (travertin) ; la brique a été utilisée pour les parties hautes dans un heureux effet de bichromie. Après bien des débats, le consensus s'est fait pour dater le portique de l'époque de l'abbé Didier, fin du XIe siècle».

 

Le rôle du maître d’ouvrage, qui introduit le chapitre consacré à la construction en tant que telle, en associant les différents intervenants, qu’ils soient commanditaires autrement dit ceux qui passent les commandes et sont en quelque les initiateurs des projets, simples charpentiers, verriers anonymes, lissiers oubliés ou notables architectes comme le célèbre Robert de Luzarches (1160-1228) dont le nom reste attaché à la cathédrale d’Amiens, explique l’importance de l’église -  ou de tout autre endroit dédié à la vie spirituelle, notamment les couvents, les monastères, les oratoires - en tant que lieu de rassemblement des fidèles pour célébrer les offices suivant la liturgie, prier, assurer la distribution des sacrements, éventuellement soigner, accueillir, instruire.


Au Moyen-âge, sans aucun doute la période où elle est la plus présente au sein de la société, l’église joue à la fois ce rôle de repère dans le paysage et de lien non seulement spirituel, qui est sa vocation première, mais aussi social et culturel. A cet égard l’art, quelles qu’en soient les formes, est indissolublement le partenaire privilégié des religions (le mot ayant également une double portée en fonction de l’analyse étymologique que l’on en fait, puisqu’il découle de relingere - relire - et religare - relier - sens auxquels font référence aussi bien Cicéron, Saint-Augustin que Calvin). Toutes font appel à l’art et bénéficient de ses apports esthétiques, en général considérables et déterminants pour soutenir dans leur démarche, voire attirer les croyants à elles et les élever à plus grand qu’eux.  

En étudiant l’ensemble de ces aspects fondamentaux que sont les contributions artistiques et les facteurs historiques, en les ajustant à la propre évolution de l’église en tant que « rassemblement du peuple de Dieu », chargée sous cet angle d’une mission d’annonce et d’évangélisation, dépositaire du dogme, soucieuse de le transmettre, ce livre abondamment illustré constitue un socle essentiel pour leur compréhension croisée. A l’évidence, l’église s’organise selon la perspective de la société humaine qu’elle est par nature. Elle agit ainsi selon l’angle pastoral et exerce pour cela son magistère. La distinction qui est faite entre les deux mots dans leur écriture permet de mieux saisir encore les différences, l’un débutant par une majuscule, l’autre nom. En donnant un simple exemple dans son propos liminaire, l’auteur facilite cette compréhension : « Un chapiteau roman est tout à la fois une marque de piété, un élément nécessaire à la stabilité de l’édifice, une prouesse artistique et une forme symbolique ». De même le vitrail, qui éclaire, décore et enseigne.

 

Quand Henri Matisse concevait la fameuse chapelle de Vence et les ornements sacerdotaux dont cette chasuble rouge et jaune qui est reprise dans le livre (p. 124), il faisait à la fois œuvre de créateur et louait le Créateur. La nef circulaire construite en 2007 par l’architecte grec Alexandros Tombazis à Fátima, au Portugal, sert autant l’Eglise que l’église. Il ne faudrait pas opposer les retables, les croix, les chœurs, les stalles, les orgues, les cérémonies d’un côté, le baptême, la communion, les psaumes, les conciles et les encycliques de l’autre. Tout appartient aux deux Jérusalem, l’une terrestre, l’autre céleste. La lecture de ces pages, signées par une historienne de l’art qui s’est consacrée entre autres au Moyen-âge,  ordonnées en six parties, le prouve. Elle offre un regard lumineux et formateur qui traverse, anime et unit ces deux royaumes.

 

Dominique Vergnon

 

Armelle Le Gendre, Comment regarder…une église, Hazan collection Guide des arts, 336 pages, 300 illustrations, 13,5x20 cm, mai 2014, 20 euros.  

 

 *  L’historien Eusèbe de Césarée (né vers l’an 265, mort en 340 environ), qui fut évêque, dénommait « Maison de prière » l'église en tant qu'édifice.

** Il a dirigé l’abbaye du Mont-Cassin de 1058-1086

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