Hélène Poignon: le radeau des Méduse

Le corps féminin est saisi sans complaisance par Hélène Poignon. Elle le porte soit vers l'attente sans fin ou dans un paroxysme chaud mais paradoxal. Le duvet pubien abandonne sa part de légende mais reste une vitrine qui éclate en d'autres sortilèges que celui de la simple exhibition. L'artiste ne réduit jamais le corps en objet : elle cherche à le montrer dans un expressionnisme qui joue  sur un rendu simultané des facettes intimes et publiques. L'intimité ne se remodèle pas selon nature : elle s’enrichit  par superposition de strates. L'effet de surface provoque une fouille dont le sens reste volontairement un mystère. La peinture s'éloigne de la psychologie ou du symbolisme tout en les caressant. Loin de stances qui s'habillent de fioritures pour satisfaire des  regards douteux Hélène Poignon cultive un autre type d'impudeur. Elle ne réduit plus la femme au trophée lumineux. Ces méduses nues ou habillées n'en demeurent pas moins troublantes. Mais de manière particulière. Ils ne servent pas à faire lever du fantasme : ils mettent en scène la femme à la fois entre force et fragilité. Elle est exposée parfois, presque "offerte" en des plaques de couleurs qui la couvrent ou la dévoilent, l'éloignent et la rapprochent, annulant au besoin l’effet civilisateur du vêtement ou du groupe. L'image s'introduit dans la faille du temps, dans sa brèche pour faire barrage à l'eau dormante comme à l'eau bouillonnante.  « Je traverse, j’ai été traversée » disait Duras. Et cela pourrait être le slogan de toutes ces femmes. Toutes semblent croire que le rêve n’est pas parti. Du moins pas trop loin. Pas en totalité.  L’image peut repartir de là. Et d'une certaine solitude.  « C’est là que j’ai vécu » écrivait encore Duras. C'est là dont les personnages voudraient sortir. Ses peintures deviennent des romans. Des nouvelles. Un cinéma muet. Sans dialogue de cire, mais de circonstance.  Mais les égéries créent des réponses "militantes". Au moment où elles doivent réapprendre à ouvrir les yeux, à ne pas se contenter de jouir dans l'inconfort, la rareté ou la solitude mais dans la traversée en espérant des aller sans retour.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

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