Picasso dans son atelier

Que révèlent-elles, ces deux prunelles sombres, presque noires, vivantes et chaudes comme des braises, qui vous fixent autant qu’elles fixent quelque lointain univers, au-delà de l’espace visible?  L’humanité d’un homme possédé par son art, d’un artiste habité par son génie, un génie qui peut-être le « tourmente » pour reprendre le mot que note à son sujet en 1952 le poète Pierre Reverdy. Au centre de tout  se tient le regard du maître, mais aussi ses gestes, ses tenues sobres ou surprenantes, son sourire et celui de Françoise Gilot, les amis qui le visitent, les toiles qu’il peint, les céramiques qu’il a façonnées. Chaque photo de ce livre restitue la vie quotidienne de Picasso à Antibes, dans les combles du château médiéval Grimaldi où il arrive en septembre 1946. « Lorsque j’arrive à Antibes,  je me sens à nouveau plongé dans l’Antiquité. Les œuvres naissent selon les moments, les lieux, les circonstances. On avale, on s’intoxique », disait-il.

 

Exclusivement en noir et blanc, les clichés pris par Michel Sima sont pourtant remplis de lumière, une lumière moins venue de l’extérieur car l’atelier est sombre que de cette force créatrice intérieure qui émane de la personne même de Picasso. De sa façon de se tenir, de son jeu devant l’objectif, un rien comédien, parfois absorbé, parfois distrait, en short blanc, torse nu, une petite chouette ou un pinceau à la main, toujours manifestant la puissance de sa présence. On suit une intimité dévoilée jour après jour, on participe au déroulement d’une œuvre, à ses métamorphoses. L’atelier est un champ clos en apparence seulement. Son occupant déborde de vitalité, il s’empare de la Méditerranée, de ses mythes, des faits de l’existence. Des contrastes, souvent accusés, rayonnent une espèce de douceur, de sérénité, de durée arrêtée propice à la genèse de l’œuvre et au temps nécessaire pour l’œil étranger d’en prendre la mesure. Les cadrages serrent les instants, restaurent le travail en train de s’accomplir, évoquent le moment de la détente et la fierté de l’artiste. S’impose un mot bien usé mais qui reste neuf dans ces occasions de rencontre entre deux interprètes de la beauté liés par l’amitié, celui de dialogue. Le lecteur est invité à en être le troisième partenaire, à voir ce qui se passe, à donner un avis. Les liens qui se sont noués entre Picasso, Sima et Dor de la Souchère sont expliqués dans la postface. On admire cette incroyable conjonction de talents, de générosité, de confiance, de connivence, de circonstances.

 

Anne de Staël introduit avec son style séduisant les phases de ce spectacle. Sur une page, on a le plaisir de découvrir la première version de La Joie de vivre. Plus loin, musique, mouvement, amour, la version accomplie de cette vaste toile. Publié en 2008 pour la première fois, on salue la nouvelle parution de ce livre. Sous les combles, Picasso au sommet.

 

Dominique Vergnon

 

Anne de Staël, Michel Sima, Jean-Louis Andral, Picasso, l’atelier des combles, Hazan - Musée Picasso Antibes, 152 pages, 160 illustrations, 27x22 cm, février 2016, 30 euros. 

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