Actualité de Shakespeare

Shakespeare est comme l’or le plus fin. Il est inaltérable. Il brille davantage quand on s’offre le plaisir de lire et relire son théâtre. Il prend de la valeur quand les autres auteurs perdent la leur sur le marché littéraire. Dans son apparente ancienneté, il est plus que jamais actuel. Denis Podalydès retient que nous « y puisons toujours…notre modernité ». Que c’est vrai ! On a dit et redit que pour comprendre les agissements de nos contemporains, il suffisait de se reporter aux agissements des siens. Les félonies et les folies qu’il dénonçait, les bravoures et les amours qu’il exaltait sont de toujours. Rien ne change vraiment sous le soleil et ses mots rayonnent encore. Ils prouvent que l’humanité au fond d’elle-même vit et meurt dans sa permanence d’être. Les tableaux de son histoire changent de cadre, ils gardent leurs toiles. Timon, Juliette, Lear, le comte de Derby, Sir John Falstaff, Horatio, Miranda, Shylock, héros connus et moins connus des tragédies et des comédies d’hier sont, aux prénoms près, les acteurs des mêmes tragédies et des mêmes comédies d’aujourd’hui. La durée n’intervient pas ici. Dans chacune de ses pièces, il y a plusieurs leçons à tirer. Les rois, les reines, les bouffons, les petites gens qui se mouvaient sur les planches du Globe, au sud de la Tamise, ressemblent étrangement aux grands, aux courtisans, aux travailleurs, aux méchants qui s’agitent sur les estrades ou dans les coulisses de nos villes. Le spectacle change de décor, la trame est la même et dans son essence, le quotidien élisabéthain concorde avec le nôtre. Ce que disent ces personnages, nous aimerions l’avoir pensé. Shakespeare nous enseigne que « lorsque la fortune nous prend ce que nous ne pouvons garder, la patience rend son injure dérisoire ». Combien de répliques sont devenues des adages et des sentences? L’écho que ses phrases suscitent renvoie aux rumeurs de nos existences. L’humour et la sagesse du poète rappellent qu’ « il y a des gens qui n’embrassent que des ombres ; ceux-là ne possèdent que l’ombre du bonheur ».

 

Depuis sa disparition en 1616, alors qu’il avait à peine passé la cinquantaine, sa renommée n’a cessé de croître. Elle dépasse les frontières de son époque comme celle de son pays. Les incessantes reprises de ses pièces montrent combien sa pensée, ses idées, ses leçons discrètement ou majestueusement données dans un style « de fer et de feu » appartiennent à un héritage commun. Chacun peut s’approprier Shakespeare sans rien lui enlever de sa stature, au contraire, contribuer à l’embellir. Il se prête à toutes sortes d’interprètes. Traducteurs, metteurs en scènes, acteurs, tous l’approchent à leur manière, tous le célèbrent pour « bouillonnement vital ». Emile Montégut, Yves Bonnefoy, Laurence Olivier, Mounet-Sully, Patrice Chéreau, Peter Brook, Ariane Mnouchkine, Robert Hirsch, Jean Vilar, Kenneth Branagh, Louis Jouvet, Maria Casarès, que de noms illustres gravitent autour de cet astre et en reçoivent un peu de l’éclat.

 

Comédien réputé, scénariste reconnu, auteur abondant, nommé plusieurs fois aux Césars, Denis Podalydès entre à son tour dans l’univers shakespearien. Son brillant avant-propos annonce les scènes qu’il va dérouler dans les pages suivantes, la vie du gentle écrivain, ses sources, le pourquoi de son œuvre, son « pouvoir démiurgique », ses affaires qui sont « florissantes », ses opposants, ses symboles. De ce fleuve d’intelligence et de vérité, Denis Podalydès saisit les pépites. Georges Banu estimait que le grand « Will », c’était « Mozart, Leonard de Vinci et Bruegel réunis ». Accompagné par un merveilleux florilège d’images signées aussi bien par Füssli et Blake que par Zeffirelli, ce petit livre élégant et passionnant est le cinquante-cinquième album de la Pléiade. Pas de meilleure référence.

 

Dominique Vergnon

 

Denis Podalydès, Album Shakespeare, Gallimard, mai 2016, 256 pages, 174 illustrations, 10 x 17 cm, relié peau (offert pour l'achat de trois volumes de la collection)

 

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