L’Académie de Marseille, le rayonnement d’une institution

Dès les premiers siècles, située à la charnière de tous les courants d’échanges humains et marchands qui irriguent la Méditerranée, Marseille, l’antique Massalia, construit un premier port et se dote d’une flotte qui navigue des côtes d’Espagne à la Corse. Siècle après siècle, la ville se fortifie, grandit, commerce avec les nations alentour mais aussi l’Afrique du nord et l’Amérique. Partout les galères appuient la politique royale. Si la peste de 1720, année au cours de laquelle le peintre Michel Serre se distingue pour sa conduite exemplaire, décime le tiers de sa population, le XVIIIème siècle sera cependant celui de l’apogée maritime, intellectuel et artistique de Marseille. Les produits du monde débarquent sur ses quais. La ville s’équipe non seulement d’entrepôts mais elle se pare aussi d’édifices où la vie culturelle, la politique, la religion, la santé et la vie sociale des habitants peuvent s’affirmer et se développer. Logée initialement à l’arsenal, l’Académie de Marseille s’établit en 1781  dans une ancienne maison des Jésuites, exactement à Sainte-Croix. Elle est reconnue en 1726. L’Académie de peinture et de sculpture est créée en 1753.

 

Plusieurs noms célèbres s’attachent à l’histoire des arts de la ville. Michel Serre d’abord, arrivé à Marseille vers 1675, qui connaît la gloire et laisse des tableaux religieux de grande qualité, des décors et surtout des témoignages très précis sur les drames causés par l’épidémie, comme cette scène poignante de 1721 où devant l’hôtel de ville, mourants et cadavres côtoient les habitants qui ont réchappé du fléau et s’efforcent de gérer la situation. Son œuvre, aux accents baroques, lyrique, colorée, « abondante, inégale, nous renvoie à l’image de son créateur…généreux, aimant la vie ». Elle comprend à la fois des tableaux de grands formats et tout autant de petits tableaux, certains de grande qualité, d’autres plus ordinaires, sa rapidité d’exécution le servant comme lui nuisant.  

 

Provençal, passé par Rome, Joseph Vernet est célèbre pour avoir réalisé entre 1753 et 1765, sur une demande de Louis XV que lui notifie le marquis de Marigny, la commande sur les ports de France. Elle compte, au terme des quelque vingt années de travail et de voyage, quinze grands tableaux qui seront en premier lieu exposés au Louvre. Le succès est immense, la peinture de marine étant devenue un genre très considéré. Diderot, presque sévère dans son Salon de 1761 sur la manière de Vernet, considérant que « le moment du jour qu’il a choisi…rembruni et obscurci tous les objets », sera en revanche particulièrement élogieux dans celui de 1763, décrivant dans un style élégant voire emphatique les toiles de l’artiste. Il faudrait le citer entièrement tant sa plume est évocatrice et élégante. « La mer mugit, les vents sifflent, le tonnerre gronde, la lueur sombre et pâle des éclairs perce la nue, montre et dérobe la scène. On entend le bruit des flancs d’un vaisseau qui s’entrouvre ; ses mâts sont inclinés, ses voiles déchirées : les uns, sur le pont, ont les bras levés vers le ciel ; d’autres se sont élancés dans les eaux. Ils sont portés par les flots contre des rochers voisins, où leur sang se mêle à l’écume qui les blanchit ». Et plus loin, il écrit aussi : « Tournez vos yeux sur une autre mer, et vous verrez le calme avec tous ses charmes. Les eaux tranquilles, aplanies et riantes, s’étendent en perdant insensiblement de leur transparence, et s’éclairant insensiblement à leur surface, depuis le rivage jusqu’où l’horizon confine avec le ciel ». Il note que Le Port de Rochefort « est très beau » mais que celui de La Rochelle « infiniment plus piquant ». Pour ses atmosphères, la chaleur de ses tons, son imagination, on a vu en Vernet un héritier de Claude Lorrain. Pour sa part, le peintre anglais Sir Joshua Reynolds loue « cet accent de vérité qui n’appartient qu’aux œuvres exécutées sous le coup de l’impression première ». Presque un siècle plus tard, voyant les tableaux du peintre, Eugène Boudin écrit à son tour, « Vernet : les admirables figures si nettes et si justes avec leur caractère si bien étudié. Fermeté des fonds, des eaux ». Le nom des Vernet se rattache à une dynastie de peintres, Joseph étant le fils d’Antoine, le père de Carle et le grand-père d’Horace.

 

Jean Henry, dit Henry d’Arles, qui connaît Vernet, tout en lui restant fidèle, montre qu’il sait s’émanciper de cette tutelle et réalise en 1756 une Tempête qui mérite tous les éloges. Sur un fond de ciel menaçant et encore clair sur la droite, au pied d’un formidable promontoire isolé au large de la côte, couronné d’un temple en partie ruiné, battu par des flots rageurs, un vaisseau dont les voiles n’obéissent plus sinon à la violence du vent, se brise dans des gerbes d’écume sur les rochers. Une dizaine de marins réunis dans une barque peut se sauver, mais au moins un d’entre eux, tombé à la mer, semble perdu malgré ses efforts, tandis que plusieurs autres ont gagné un abri.   

 

A Marseille, même si en raison de son rôle fondateur le négoce est un vecteur de relations sociales, les exigences de culture ont favorisé l’éducation de jeunes artistes. Michel Dandré-Bardon, crée une école qui deviendra donc l’Académie de peinture et de sculpture. « L’idée d’une connexion étroite entre l’Académie et les manufactures va ainsi prédominer tout au long de cette seconde moitié du XVIIIème siècle marseillais ». Ces formations ont notamment permis de développer toute une production d’objets remarquables, dont les faïences qui à l’époque ont porté loin le renom de la cité phocéenne. Signalons encore le peintre Pierre Parrocel, appartenant également à une dynastie de peintres, qui exécuta le cycle de L’Histoire de Tobie, suite qui offre une splendide séquence de 14 tableaux, son auteur en facilitant la lecture grâce en quelque sorte à un codage qui se retrouve tout au long de la série, comme par exemple la tunique d’un bleu soutenu de Tobie et la tunique rouge de Ragouël.

 

Très richement illustré, cet ouvrage accompagne une exposition qui n’est pas moins magnifique (jusqu’au 16 octobre). Il reprend dans le détail l’histoire et témoigne du rayonnement de son Académie, pendant ces quarante années décisives au cours desquelles la vie artistique de Marseille s’est déployée autour de son institution, favorisant l’éclosion de multiples talents, que ce soit en peinture, en architecture, en sculpture, en artisanat, rappelant ainsi que cette ville n’était pas qu’un jalon sur la route de Paris à l’Italie, mais qu’il s’agissait d’un foyer artistique majeur.

 

Dominique Vergnon

 

 

Sous la direction de Luc Georget et Gérard Fabre, Marseille au XVIIIème siècle, les années de l’Académie, 1753-1793, Somogy éditions d’art - Musées de Marseille, 304 pages, 200 illustrations, 23x28 cm, mai 2016, 39 euros. (www.culture.marseille.fr)

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.