La nature se livre bien à
ceux qui se donnent la peine de s’enquérir d’elle mais elle veut être aimée
exclusivement ». Ces mots pris dans les « Notes sur l’art » de
Jean-François Millet, le célèbre auteur de L’Angélus
(1858) et qui est aux côtés des fondateurs de ce qui allait devenir une « Ecole »,
Corot, Daubigny et Rousseau, pourraient servir de fil conducteur au long de la
lecture de cet ouvrage, très illustré, écrit par un critique d’art qui par
ailleurs s’était beaucoup intéressé non seulement à l’Ecole de Paris mais aussi
à bien d’autres grands peintres, comme Giotto, Fra Angelico, Le Douanier
Rousseau, Matisse ou encore Degas et Toulouse-Lautrec. La nature est la présence
par excellence qui s’impose et palpite de vie au cœur des tableaux de ces
artistes de Barbizon qui à partir de 1825 environ et pendant une petite
cinquantaine d’années, se sont croisés dans et autour de la petite localité située
au bord de la forêt de Fontainebleau.
A l’instar de Pont-Aven
en Bretagne, le village accueillait ces colonies de peintres, jeunes, enthousiastes,
novateurs, désireux de trouver dans la vérité de la campagne un supplément d’inspiration,
héritiers des maîtres anglais et hollandais et également français comme Poussin
et Le Lorrain qui avaient fait du paysage un acteur de leurs toiles, tous amoureux
de la nature mais la débarrassant dans sa représentation du lyrisme et de l’imaginaire
romantiques, voulant sans doute aussi défendre leur liberté et s’éloigner de
cette civilisation moderne qui pouvait les inquiéter. Pour eux, la beauté
idéale coupée de la sensation et de l’émotion, les sujets historiques et les
scènes mythologiques n’offraient plus ou pas assez d’intérêt. On quittait enfin
l’atelier pour aller trouver en plein air de nouveaux motifs et respirer plus
au large. Ce double mouvement d’admiration et de révolte dont parle Jean Bouret
(1914-1979) au début du livre irrigue toute la période.
Le paysage en soi devient
donc une réalité vivante dont on fait le portrait, il est « une mystique »,
une manière de refuge où se revivent les valeurs terriennes venues de l’animal,
du végétal et du minéral et qui témoignent des forces de la vie évoquées par Schelling.
Paul Huet va être un lien essentiel entre les générations précédentes, les
Turner, Constable, Ruysdael, surtout Bonington qu’il rencontre en 1819 et les suivantes.
Sa Vue des Andelys a la légèreté et l’éloquence
d’une aquarelle de Turner.
Corot « l’exemplaire »
qui connaît aussi les toiles de Constable et de Bonington, qui a fait le voyage
d’Italie, peint en 1832 les chênes du Bas-Bréau dans la forêt de Fontainebleau.
Il est le « précurseur parfait » de cette Ecole qui va désormais
aimanter les plus grands talents, avec au premier rang, Rousseau, d’une
certaine manière le chef qui observait « avec toute la religion de son cœur », Daubigny,
Troyon, Dupré, Courbet, Diaz de la Peña. A Barbizon et dans les villages
alentour, on comptait plus de 100 peintres établis. La lumière entrait dans
leurs yeux et leurs toiles, la touche se libérait, les couleurs enregistraient
les nuances les plus fines du ciel, les mouvements des arbres sous les effets
du vent, les miroitements des eaux. Ils sortaient pour « voler des
morceaux de nature » selon les mots de Corot. On sait combien leur
influence sera forte sur les peintres qui arrivent en 1870 et vont à leur tour révolutionner
la peinture, les Impressionnistes. Sisley arrivé en 1860 ouvrira la voie à
Bazille, Monet, Renoir, Seurat, Cézanne. Par la suite, venus d’horizons
lointains, d’Allemagne, des Etats-Unis, des Pays-Bas, de Roumanie, de Russie, d’autres
peintres se joindront à eux pour partager leur culte. Les rues de Barbizon
gardent toujours dans leurs maisons la mémoire vivante en quelque sorte de ce
passage de l’art où ont vécu les peintres. Un musée a été créé en 1981.
Barbizon, finalement, aura été « un inventaire exhaustif de la nature »,
selon les mots de Jean Bouret (1914-1979). Une lecture riche pour comprendre quel
a été la vraie nature de ce jalon majeur de l’histoire de l’art.
Dominique
Vergnon
Jean Bouret, L’Ecole de Barbizon et le
paysage français au XIXème siècle, éditions Ides et Calendes, 244 pages,
250 illustrations, 25x28cm, septembre 2016, 59 euros.
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