L'espace et le temps : Serge Saunière

Pour Saunière L'Arcadie  qui incarne une patrie poétique  ne peut l'être qu'à la manière d'un rêve , mais ce rêve, cette utopie , sans être une illusion, garde en soi la synthèse de la présence.
Son superbe livre la montre dans ses éclaboussures, l'épaisseur du vide (par le noir qui le contredit), la matité ou la brillance de vernis ou de frottis dans une poétique de l'espace qui mêle douceur ou violence. Parfois le geste s'y rappelle au regard sans pour autant obturer mais au contraire souligner la puissance d'une œuvre qui joint l'art d'ici à celui de l'orient.

La peinture de Saunière crée un lieu qui n'appartient à l'artiste mais où existe un effacement de l'ego. Encres et acryliques parlent par elles-mêmes. La matière noire devient le corps même de l'œuvre de Serge Saunière. Elle est lancée entre abandon et maîtrise pour consumer la paroi blanche du support jusqu’à la transparence ou l'opacité noire. Les "taches" deviennent autant de no man’s land que des présences.  

Si bien qu'avec une telle "encre" nous nous  demandons si tout reste à écrire ou si, à l'inverse, tout est déjà dit. Demeure une sur-figuration par une abstraction particulière. L’angoisse émerge, trouve des repères mais est colmatée tout autant. En ce sens elle est par excellence la taiseuse, l’intruse qui sait que les mots ne résolvent rien. Seule sa peinture en montre leur envers et en scanne la pénombre. Dès lors l'œil voyage dans un "fait pictural"., là où reste le mystère de la métamorphose.

Venant de partout et de nulle part, des vagues noires se succèdent afin d'entrevoir le jour. Le corps venu de si loin trouve là bien plus que son miroir. La feuille absorbe la matière et en devient le passager sans prendre la figuration humaine en otage. Et si la vie est un voyage,  l'acrylique ou l’encre permet de repérer quelques lieux dont l'Arcadie devient le symbole non illusoire  - du moins tant qu'une telle œuvre nous "tient".
 

Jean-Paul Gavard-Perret

Serge Saunière, Fragments d'Arcadie,  250 × 298, Coiffard, septembre 2021, 295 p.-, 49 €

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