Henri Heine, "Lutèce - Lettres sur la vie politique, artistique et sociale de la France" : une sentinelle perdue dans la bataille de la liberté
Né à la charnière de deux siècles, allemand de naissance. Et français d’adoption. Heinrich Heine est bien le plus français des auteurs allemands. Sa vie et son œuvre illustrent une double tension entre révolution et romantisme. Entre contestation des idées dominantes et désir d’intégration. Héritier des Lumières - tout en se considérant comme le dernier roi de l’école romantique - il ne cessera de cultiver le mépris pour le prosaïsme et la matérialisme bourgeois. A la fois écrivain engagé et ennemi de la littérature à thèse, poète, dramaturge, nouvelliste, essayiste et journaliste, Heine a traversé son époque en s’intéressant à tous les domaines. Il est depuis lors une référence pour qui veut appréhender la première partie du XIXe siècle.
Heine ne cesse de le répéter dans ses écrits, l’émancipation de l’humanité constitue "la grande tâche de notre temps". Admirateur de la Révolution française - le signal de la guerre libératrice de l’humanité - il se fait une haute idée de sa mission. Heine se voit, en effet, en sentinelle perdue dans la bataille de la liberté. Il veut aider les peuples à se délivrer de leurs chaînes féodales, religieuses et sociales.
Les articles réunis dans Lutèce permettent à Heine
de se livrer à une confrontation critique avec son temps. Observateur et
témoin, il cherche à tracer le portrait fidèle d’une époque aussi importante que
pleine d’intérêt. Si Heine reprend son activité de journaliste en février 1840, c’est
que les événements s’accélèrent. La situation politique et sociale est tendue
en France. Le risque d’une guerre européenne n’est plus un vain mot. Enfin, la
persécution des juifs de Syrie sont autant de raisons qui le poussent à réagir.
La Gazette d’Augsburg, par son audience internationale, lui semble alors
être la tribune la mieux adaptée. Il va ainsi pouvoir laisser jaillir les flammes de son
enthousiasme et de sa colère.
Témoignage d’un reporter-historien de son
temps, Lutèce combine les instantanés photographiques de la vie
politique, sociale et culturelle du Paris des années 1840, à une réflexion en
profondeur sur les mouvements et le sens de l’histoire. Reportage pétillant sur
un présent devenu pour nous passé parfois peu clair, Lutèce se lit aujourd’hui
comme un livre d’histoire. Il est un matériau vivant et une source pour les
chercheurs. Mais il est aussi un livre sur l’Histoire en ce qu’il aide à
penser. Ce tableau visionnaire de la France des années 1840 continue de nous
interpeller. Sa richesse et sa complexité en font un grand livre qu’il ne faut
pas réduire à une interprétation univoque, bien au contraire ...car il offre un
regard percutant et distancié sur les années Guizot.
Reprenant les mises en garde que certaines observateurs adressaient à Charles X à
la veille de sa chute, Heine tente de faire sortir les autorités orléanaises de
leur confortable léthargie.
Dans un diagnostic sans concession, Heine tire des enseignements sur l’histoire
à venir. Lutèce présente une histoire en mouvement. Une narration qui ne
conduit pas de manière linéaire au progrès. Mais qui est faite de chocs et de
retours en arrière. Fixée dans un pays modelé par un passé toujours présent. Un
pays aussi hanté par les squelettes mécontents des héros de Juillet et les spectres de
l’an 89...
Mais
l’histoire de s’arrêtera pas davantage avec l’instauration d’un régime
républicain...
Annabelle Hautecontre
Henri Heine, Lutèce - Lettres sur la vie politique, artistique et sociale de la France, présentation de Patricia Baudouin, coll. "Utopie et liberté", La fabrique, novembre 2008, 475 p. - 25,00 €
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