"Le téléphone a-t-il tant que cela augmenté notre bonheur ?" introduction à l'oeuvre de Remy de Gourmont par l'exemple

Co-fondateur de la revue du Mercvre de France, auteur du plus important roman symboliste, Sixtine, influent penseur et éditeur de l'entre-deux siècles, Remy de Gourmont est un peu tombé dans l'oubli après la Seconde Guerre Mondiale. Bien sûr, il a toujours eut des lecteurs et des défenseurs (1), mais son style fin et volontiers malicieux, son érudition hors norme, ainsi que son exigence sans austérité mais avec une constante rigueur de pensée, en font, naturellement, l'ennemi du siècle de la désinvolture et du loisirs.  


Rappelant dans sa belle préface son côté intemporel et inclassable par sa richesse et sa diversité, Vincent Gogibu propose de parcourir alphabétiquement, de "Anarchie" à "Zola", la pensée de Remy de Gourmont en illustrant quelques passions et quelques haines, pour extraire un chemin de vie intellectuel cohérent. On se plaît à relever ici ou là quelques piques bien senties :


"Je n'aime ni ne comprends Dumas où je ne trouve rien à aimer ni à comprendre. Est-ce Clair ?"


"Balzac n'a pas reculé devant le ridicule"


Mais le plus important est ailleurs. Armé d'un scepticisme joyeux,  Gourmont interroge son temps et, s'appuyant sur sa solide érudition, montre les ignorances modernes et les apories que seule la bêtise ignore. "Vif, alerte, curieux, encyclopédique. d'un fait d'actualité il tire une morale. D'une question politique, un dialogue des amateurs où il dissocie les idées. Gourmont est un chevalier dont l'étendard porte l'emblème de saint Georges terrassant le Cliché, l'idée commune. La force de Gourmont est son esprit libre. Il s'affranchit des dogmes, de la bien-pensance et parfois de la bienséance. Il dépasse la pensée commune, celle du troupeau, celle du Vulgaire. Il la surplombe." Cet éloge de Gourmont par Vincent Gogibu en fait le saint patron des sceptiques et des libres-penseurs de notre temps, souvent conspués par les tenants de la doxa et du bien-penser. Ce n'est pas innocemment que Gourmont fait l'éloge de Montaigne, ainsi que d'Ernest Renan, au nom même de son scepticisme éclairé dont "peu en sont capable[s]", dans un article à propos de Descartes, Montaigne, des animaux, des hommes et de la chimie moléculaire... Un scepticisme fécond !

Parcourir par ce petit volume très riche et très intelligent la pensée de Gourmont c'est vouloir la découvrir toute, lire Le Latin mystique (cet espéranto d'avant l'heure) pour rappeler combien il est crétin et criminel d'en priver les jeunes esprits), lire son incroyable pamphlet contre le patriotisme revanchard et stérile Le Joujou patriotisme, ses travaux sur la langue française qu'il maîtrisait admirablement, ses Promenades littéraires qui sont autant de beaux moments où quelques écrivains majeurs reviennent régulièrement, ainsi Stendhal, pour qui il avait une admiration féroce...

Gourmont, c'est tout un monde, riche et exigent, si moderne justement parce qu'il refuse toujours de céder aux médiocres. 

Espérons que ce beau choix de textes très variés (sur l'astrologie, le courage, la cuisine, Chateaubriand, Nietzsche, le snobisme, la foi, le progrès, la postérité, le cinéma, la littérature...), politique et culturel, devienne un peu l'introduction à l'oeuvre complète de Gourmont et lui rende en lecteurs ce qu'il nous offre en intelligence.


Loïc Di Stefano


Remy de Gourmont, Le téléphone a-t-il tant que cela augmenté notre bonheur ?, choix de textes et préface de Vincent Gogibu, Grasset, "Les Cahiers rouges", septembre 2015, 288 pages, 9,90 eur


(1) Voir notamment les Amateurs de Remy de Gourmont

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