"La vie rêvée d'Ernesto. G" - dans la lignée du "Club des Incorrigibles Optimistes" de Jean-Michel Guenassia

Après Le Club des Incorrigibles Optimistes, récompensé par le Goncourt des Lycéens en 2009, Jean-Michel Guenassia revient avec La vie rêvée d’Ernesto G., qui retrace la vie insolite d’un homme à travers l’Histoire.

 

Le titre est trompeur car ce roman ne retrace pas la vie d’Ernesto Guevara mais celle de Joseph Kaplan, né en 1910 à Prague. Etudiant en médecine, militant socialiste, il part étudier la biologie à l’institut Pasteur. Il y découvre le Paris des années 30, les bals musettes où il danse le tango jusqu’au bout de la nuit, bien loin des événements se déroulant au même moment en Allemagne et dont il n’a qu’un écho lointain. La guerre n’aura pas lieu, il faut préserver la paix. Engagé par l’institut, Joseph part ensuite pour Alger la blanche, où il rencontre Maurice, Christine et Nelly. Les jours s’écoulent entre le laboratoire et chez Padovani où ils se retrouvent pour boire et danser. Mais l’Histoire les rattrape et Joseph est obligé de fuir pour échapper aux rafles qui n’épargnent pas l’Algérie. A son retour à Prague, Joseph découvre la disparition de son père, les camps et s’installe dans son pays, accompagné de celle qu’il aime. Il s’agit alors pour lui de reconstruire le pays : il adhère au Parti communiste tchécoslovaque pour en finir avec l’exploitation éhontée de l’homme par l’homme. Désenchanté qu’il va assister au détournement de ses idéaux et à la mise en place d’un communisme qui asservit les hommes, les fait vivre dans la peur et les pousse à dénoncer leurs proches. C’est dans ce contexte que l’Etat va lui confier la vie d’un homme, Ramon alias Ernesto Guevara qu’il soignera pendant quatre mois en 1966.

 

La Vie rêvée d’Ernesto G. s’inscrit véritablement dans la continuité du Club des Incorrigibles Optimistes. On y retrouve certains personnages du premier roman de Jean-Michel Guenassia comme Pavel, le joueur d’échecs ou Maurice Delaunay qui n’est autre que l’oncle parti faire fortune à Alger du petit Michel. S’il n’est pas fait référence à celui-ci, il est question du séisme familial qui touche la famille Delaunay quand Hélène se retrouve enceinte d’un employé Italien et accouche de Franck, le frère de Michel (1). Mais ce n’est pas le seul lien qui unit les deux romans de Jean-Michel Guenassia : tout comme dans son premier roman, certains personnages sont d’incorrigibles optimistes. Pavel, bien sûr, qui, bien qu’obligé de fuir son pays, reste fidèle à l’idéal communiste ou Ernesto Guevara qui poursuit la lutte même si elle est destinée à échouer qu’il s’agisse de l’expédition africaine ou de la Bolivie.

 

Autre point fort de ce roman, le fait de voir l’Histoire à travers celle d’un homme. Joseph est à la fois acteur et observateur de ce qui se passe autour de lui qu’il s’agisse de la guerre d’Espagne, des accords de Munich ou des rafles. Au fur et à mesure de l’histoire, dans les deux sens du terme, on voit Joseph changer : à Paris, il est l’étudiant peu physionomiste, intimidé par les femmes sauf quand il danse le tango (2). A Alger, il tombe amoureux et son retour à Prague, à ses origines, sonne l’ère de la maturité. Avec lui, nous vivons donc de grands moments d’histoire mais nous rencontrons également des personnages extraordinaires comme Nelly, Maurice, Mathé, Sergent et Carmona, Pavel et Tereza, Christine et Helena et bien sûr Ernesto Guevara. Ce dernier n’apparaît que dans la dernière partie du livre qui est aussi consacrée à Helena, la fille de Joseph. Jean-Michel Guenassia a recours à l’uchronie pour insérer Ernesto G. dans la vie de Joseph. Il s’appuie sur le séjour du Che à Prague entre mars et juillet 1966, un séjour dont on ne sait rien mais qu’il réinvente pour nous. Quatre mois durant lesquels Ernesto G. vit une vie tranquille familiale auprès de Joseph et surtout d’Helena, une vie dont il aurait pu rêver s’il ne s’était pas engagé dans la révolution.

 

Julie Lecanu

 

Jean- Michel Guenassia,  La Vie rêvée d’Ernesto G., Albin Michel, août 2012, 539 pages, 22,90 euros.

 

1) Jean-Michel Guenassia,  Le Club des Incorrigibles Optimistes, livre de poche, août 2011 (Albin Michel, 2009).

 

2) Pour se plonger dans l'univers de Joseph, un air de Carlos Gardel

 

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