"Le rabbin congelé" : une fable sur l'identité juive de Steve Stern

Que feriez-vous si vous trouviez, un de ces jours, en fouillant dans le congélateur familial, un être humain ? Oui, vous avez bien entendu : un être humain dans le congélateur et même pas mort en plus, juste congelé. Et pas n’importe qui, puisqu’il s’agit d’un rabbin en provenance directe du XIXe siècle…. Et quand il décongèle et qu'il découvre l’Amérique de la fin des années 1990, autant vous dire que le choc est assez terrible.

Celui qui fait cette étrange découverte est un adolescent juif américain au physique ingrat, obsédé par le sexe… un personnage tout droit sorti d’un film de Woody Allen de la grande époque en quelque sorte.

Bernie, ses parents et sa sœur doivent cohabiter bien malgré eux avec cet héritage familial qui se transmet depuis des décennies. L’occasion pour Bernie d’entamer une enquête sur ses origines juives.

 

Ce gros roman de Steve Stern commence comme une blague potache et prend de l’épaisseur au fil des pages, amenant le lecteur à s’interroger sur la spiritualité, la différence entre religion et secte, les dérives mercantiles de certaines communautés religieuses, etc. Mais c’est surtout un portrait au vitriol de la société américaine de la fin du XXe siècle que brosse Steve Stern, un peu à la manière d’un Jonathan Franzen avec son superbe roman Les corrections. Il utilise ce rabbin venu d’ailleurs comme le faisait Montaigne avec ses cannibales à Rouen ou Montesquieu dans les Lettres Persanes, c’est-à-dire pour mieux nous révéler des faces sombres de la société dans laquelle nous vivons.

La dimension de quête identitaire quant aux origines juives du jeune homme peut également faire penser au très bon roman Tout est illuminé de Jonathan Safran Foer.

 

Le roman est construit sur une alternance de chapitre : un chapitre sur deux se déroule à l’époque contemporaine tandis que l’autre nous décrit la vie d’une communauté juive du tournant du XXe siècle. Puis, nous avançons dans le temps dans chacune de ces deux histoires et c’est tout un siècle d’histoire du peuple juif en exil qui s’écrit devant nous, du shtetl à la communauté juive américaine des années 2000 en passant par Elis Island. On pourra toutefois préférer les chapitres se déroulant à l’époque contemporaine, plus percutants et plus passionnants, grâce au personnage attachant de Bernie Karp et à sa camarade de classe, Lou Ella, un très beau personnage féminin et déplorer de s' ennuyer un peu parfois dans les autres chapitres.


Un roman drôle, prenant et dense mais qui aurait gagné à être resserré.  


Marianne Desroziers


Steve Stern, Le Rabbin congelé, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Mireille Vignol,  Autrement, août 2012, 555 p., 23 euros

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