Richard Millet et son Artiste du sexe replace l’Homme au cœur du monde

À l’occasion des Fêtes de Noël, puisque l’attachée de presse de Gallimard s’évertuait à m’envoyer tous les livres sauf celui-ci, malgré mes relances – à croire que Richard Millet est encore un paria chez son propre éditeur –, j’ai donc décidé de me l’offrir, et toc ! Je le rangerai désormais aux côtés des livres de Marc-Édouard Nabe qui, auto-publié après avoir vaincu son ancien éditeur devant la Justice, n’offre donc aucun service de presse à tous ces journaux qui l’ont ignoré, juste retour des choses… Et, tout comme Nabe, Millet prône pour une littérature débarrassée de ses parasites, Marc L., Guillaume M., Amélie N., autant dire qu’il parle dans le vide puisque seuls les chiffres de vente, désormais, font office de référence.

 

Hé oui, nous voilà de plus en plus en train de ressembler à ce fameux petit village gaulois qui se refusait à l’envahisseur, certain de son bon droit, ne voulant à aucun prix capituler face à l’hégémonie de la facilité, du pire en quelque sorte. On aime à se dire que l’on a déjà démontré, par le passé, que malgré le fait que la collaboration est sport national, la Résistance finit toujours par triompher ; mais, parfois, le cœur gros, on doute et on regarde les batailles perdues se succéder. Or, "[…] dans un pays comme la France où la littérature reste un objet de dévotion, alors que partout ailleurs […] elle est devenue une composante du grand divertissement international", il y a encore une motivation supplémentaire à s’investir dans la promotion de ce qui compte.

Et ce livre-là comptera !

 

Jeu des miroirs en transvasements infinis : le narrateur, Sebastian, un américain venu écrire en français (sic), à Paris, rencontre Bugeaud, le double de Millet, lequel ne reniera point quelques ressemblances avec Sebastian, et parle souvent des vaches sacrées du Limousin. Alors, à l’instar de tout bon chrétien qui s’assume, Richard Millet aime la trilogie du Moi et il s’empare comme jamais de cet hybride sujet pour nous raconter une possible raison d’être… en complicité avec notre histoire, notre culture, nos origines, notre identité, bref, notre langue qui "est un corps inaccessible que nous passons notre vie à vouloir coucher dans le lit de notre enfance […]".

 

Sebastian (tiens, lui aussi) abhorre cette société hypocrite, et surtout les vacances d’été qui font "oublier ceux dont on se croit proche, voire ceux à qui on est réellement lié. C’est le moment où on se sépare de soi, du moins les êtres comme [lui] (et moi !). Les autres, eux (vous, donc !), se rejoignent, vivent ensemble, oublient qu’ils rêvent de se voir mourir les uns les autres."

Sebastian, qui écrit pour savoir si "l’amour, comme toute entreprise littéraire, n’est pas une sorte de cérémonial funèbre", quoiqu’il semble épris de Rebecca (et l’accepter), une astrophysicienne à la cuisse légère. Pessimiste – ou lucide ?– il est convaincu que le français sera leur forme d’amour la plus vive – ce "dans quoi ils se seront aimés bien mieux qu’en toute autre langue, voire [leurs] corps mortels." Surtout que Rebecca semble placer sa liberté d’agir (vous avez dit volage ?) au-dessus de tout, retournant son libertinage comme preuve d’amour. Distante voire froide, ce gel qui habille les femmes, les habite et les paralyse, membres engourdis, âme au désespoir… Sebastian rallongera les temps morts entre leurs rendez-vous s’adonnant encore plus à l’écriture dans ce "mouvement de rupture par lequel un écrivain doit renoncer à ce qu’il est pour rester fidèle à lui-même." Oui, comment sinon entrer dans "la voie de l’écriture, n’ayant pas encore admis que la littérature n’est rien d’autre que ce qui s’échappe à soi dans le fait même d’écrire" ?

 

Rebecca en courtisane universelle qui se donne aux hommes pour son seul plaisir de se perdre et de pouvoir parler sans relâche, se libérant d’elle-même mais "ignorant sans doute encore que la formule doit s’incarner, qu’elle devait trouver son corps, qu’elle était ce corps, par la grâce du sexe et de l’esprit, tout ce que l’écriture rassemble dans sa logique injustifiable et cependant nécessaire." Rebecca, mère de toutes les femmes, image universelle du feu qui habite celles qui osent et sont souvent si durement rabrouées… ayant enfin admises que l’amour n’est alors "rien d’autre que le goût d’une absence démesurément préférée à toute autre."

 

Sphynge sexuelle – mais quelle femme ne l’est, dans le sommeil des hommes plus que dans le mystère qu’ils prêtent aux femmes ?

 

La littérature n’est pas totalement morte, affirme (candide ?) le héros de Richard Millet, preuve cet extraordinaire roman qui pourrait bien être son Grand Œuvre, monument illusoire mais ô combien essentiel dont chaque artiste – mais l’écrivain en est-il un ? – se targue d’arriver, un jour, à mettre en forme et à déposer à vos pieds... Surtout pas artiste ! hurlerait de rage Sebastian qui se voulait "un écrivain au sens le plus anonyme du mot, c’est-à-dire un grand absent, un corps sans appartenance singulière, au contraire de [ses] contemporains qui mettent le corps au-dessus de l’esprit […]." Il n’avait personne à envier, car c’est cela être écrivain : n’envier personne, "c’est-à-dire se condamner à être soi par défaut de ressemblance, tout en allant vers le grand anonymat."

Oublier Richard Millet pour devenir Richard Millet ? L’homme banni est-il enfin devenu suffisamment transparent pour que demeure uniquement l’objet papier d’où jaillira la source de toute cette joie transmise par la seule lecture ?

Une littérature de l’absolu en totale opposition à cette mode du paraître actuelle, oui !

Alors faut-il se damner pour créer ? "On ne peut être soi qu’en se reniant ou en décevant les autres."

 

À vous lecteur d’arrêter de porter toute la misère du monde et de vous offrir quelques libertés pour plonger au centre de toute chose, cette vie qui pulse en vous malgré tout, ce sel qui bouillonne dans votre sang et vous impose ce désir qui noue bien des aventures sur l’autel du plaisir. Notamment la passion qui, "comme l’amour, […] nous quitte si nous n’en sommes plus dignes." Offrez-vous cette délivrance car ici se cache cette légèreté si chère à Kundera et à nous indispensable pour ne pas mourir d’ennui.

À vous de jouer, alors, lectrices, lecteurs, en portant votre attention plutôt sur cet ouvrage qu’une des innombrables niaiseries produites généralement au mois de septembre…

 

Pousserez-vous, enfin, un jour, à votre tour, ce fameux "cri d’aigle que poussent ensemble les femmes et les hommes, quelquefois, […] dans la langue et au-delà d’elle, en [votre] âme et en [votre] corps, et au-delà d’eux, dans cet envers de la nuit qu’on appelle l’amour" ?

 

 

François Xavier

 

Richard Millet, Une artiste du sexe, Gallimard, septembre 2013, 240 p. – 17,90 €

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4 commentaires

j'ai toujours aimé l'écriture de Millet,  (en 1er j'ai lu "la gloire des Pythre" ),  très belle écriture , j'aime donc l'écrivain et j'ai bien envie de lire celui-ci,  mais l'homme me pose problème, sa posture polémiste, réac de droite me hérisse et pourtant il voit clair sur la littérature et sur les impossibles du  dire...et je  crois  que la pensée de Millet est indispensable pour nourrir la nôtre, même , ou surtout, si on est loin d'adhérer à sa vision du monde et de l'humanisme

@Anne : Mauvais posture, chère Anne, outre le mal de dos il y aussi le mal de tête inutile. Ne pas lire Céline parce que l'homme, etc. ? Voyons, restons sérieux et regardons au-delà de cette posture qui n'est pas de droite ni réactionnaire, mais seulement honnête, dans un premier temps, ce qui est assez rare par les temps qui courent. Ensuite défendre des idées, une culture, un désir de ne pas mourir dilué dans le mondialisme n'est en rien réactionnaire. Bref, laissons à Richard Millet sa pensée politique et lisons-le. C'est l'un des derniers grands. Le goût des femmes laides est aussi un monumental roman ! Ou Coeur blanc.

Mais c'est justement  ce que je dis François Xavier ..Même souvent en désaccord avec ses prises de positions, je dis que  l'écrivain est grand et que  la pensée de Millet me paraît  nécessaire et enrichissante ! Je ne peux pas mieux lui rendre hommage me semble-t-il, mais il n'empêche qu'il a une vision très refermée sur son pays qui ne me plaît pas, une absence de rêve, ...la lucidité qui est pourtant pour moi un ingrédient indispensable à la vie, n'empêche pas la quête de tous les  possibles. Bref..nous sommes quand même d'accord sur l'essentiel, non ?


Indigné, le Service de presse de feu la rue Sébastien Bottin, désormais rue Gallimard, rien n'étant trop grand beau brillant pour cette maison d'édition devenue une enseigne. Indignée, donc, l'attachée de presse qui m'écrit pour demander un correctif, arguant qu'elle n'a jamais reçu ma demande, or j'ai retrouvé le mail, daté du 17 octobre 2013 (on lui fera grâce des relances). Bref, beaucoup de bruit pour rien. Une fois encore on s'indigne de peu mais surtout on n'entendit personne du Service de presse prendre la défense de Richard Millet quand les chiens furent lâchés et que tout le monde (même des auteurs Gallimard sauf Pierre Jourde & Alexis Jenni) hurlait au scandale (sans avoir lu son livre, d'ailleurs !), à la démission, etc. ; étonnant de voir que l'on se tient toujours du côté du manche...