Puisque, sauf erreur, le Salon n’a pas encore consacré d’articles à Romain Rolland, je me permets d’évoquer brièvement la figure de l’un des plus grands humanistes des Lettres françaises. Ceci n’est pas une biographie. Celle-ci a été écrite notamment par Stefan Sweig (Romain Rolland, sa vie, son œuvre) qui considérait le lauréat du prix Nobel 1915 comme le plus grand écrivain français. Mais contrairement à Sweig, qui jouit depuis quelques temps d’une très belle frondaison éditoriale, Romain Rolland tarde à retrouver sa place dans le panthéon des écrivains. Pour donner un aperçu de son immense talent, il me suffit de citer ce passage de Jean-Christophe (IVe  partie)  dont on mesurera toute la portée en sachant qu’il a été publié pour la première fois en novembre 1911, soit trois ans avant l’assassinat de François-Ferdinand d’Autriche et la déclaration de guerre. Plus qu’un humaniste, Romain Rolland était un visionnaire :

« L’incendie qui couvait dans la forêt d’Europe commençait à flamber. On avait beau l’éteindre, ici ; plus loin, il se rallumait ; avec des tourbillons de fumée et une pluie d’étincelles, il sautait d’un point à l’autre et brûlait les broussailles sèches. À l’Orient, déjà, des combats d’avant-garde préludaient à la grande Guerre. Le désir du combat possédait toutes les âmes. À tout instant, la guerre était sur le point d’éclater. On l’étouffait, elle renaissait. Le prétexte le plus futile lui était un aliment. Le monde se sentait à la merci d’un hasard, qui déchaînerait la mêlée. Il attendait.

C’était donc à cela que devait aboutir la résurrection physique et morale des races d’Occident ! C’était à ces boucheries que les précipitaient les courants d’action et de foi passionnées! On eût dit que le monde eût, pour le gouverner, fait choix des plus médiocres. La force de l’esprit humain était ailleurs. – Alors, il ne restait plus qu’à s’en remettre à la pente qui vous entraîne. Ainsi faisaient gouvernants et gouvernés. L’Europe offrait l’aspect d’une vaste veillée d’armes… »