Qu’il emporte mon secret de Sylvie Le Bihan : A corps perdu
Comment dire l’indicible de la violence et de la torture sans sombrer dans le voyeurisme et vivre après ce qu’elle appelle à juste titre « un massacre » ? La narratrice raconte la dissociation au moment même du viol, la sidération qui paralyse, le gendarme qui conseille après de ne pas porter plainte et surtout la mère, affolée, qui choisit de voir ce crime comme un accident de parcours, à cacher absolument. Une honte et une injonction à laquelle l’auteure se conformera, en s’enfermant dans le silence, en posant un voile pudique sur ce qui s’est passé.
Mais son récit, d’une force et d’une violence rare, n’a rien de pudique : il donne à voir et à comprendre comment le corps reste prisonnier du traumatisme tandis que l’esprit lui cherche à s’évader du cauchemar dans une urgence à vivre, tête baissée.
Nuits fauves, aventures à la pelle sans jouissance aucune, boulimie et scarifications, addictions diverses, Sylvie le Bihan ne cache rien, ne s’épargne guère mais n’exhibe jamais sa douleur. Elle écrit sec, nerveux, maîtrisé et parle pour toutes celles qui n’ont jamais pu parler. Un livre qui est plus qu’un témoignage, si peu un roman, malgré un côté thriller à la fin et qui nous aide à mieux comprendre comment le viol vous rattrape toujours.
Ariane Bois
Sylvie Le Bihan, Qu’il emporte mon secret, Seuil, 217 pages, 17 €
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