L’Air de rien, de Hanif Kureishi : vif et alerte

Je voudrais pouvoir me dire : c’est juste sexuel .Ou encore : ne le prends pas pour toi. Sois tolérant, laisse les autres en profiter. Le progrès c’est surmonter les tabous. Mais, on a beau l’aborder sous n’importe quel angle, personne n’arrive à se défaire que la sexualité a un sens.
Waldo, réalisateur de cinéma célèbre, hospitalisé à domicile dans son cossu appartement londonien de Kensington vit entouré de sa femme Zee, fragile et frustrée, beaucoup plus jeune que lui et d’un quadra encombrant, Eddie son biographe, "ami de moins de trente ans", gay ou plutôt "bi", et terriblement dilettante. Au fil du temps, le cinéaste qui ne dispose plus dans son état de grande dépendance que d’un regard acerbe et méthodique sur la réalité développe peu à peu une paranoïa sur les relations entre sa femme et Eddie avant d’ élaborer une vengeance très "cinématographique.

Aujourd’hui encore les femmes sont souvent plus amoureuses que les hommes. En définitive mon problème ce n’est pas la sexualité, c’est l’amour. Et je me rends compte que je suis ce genre d’imbécile qui veut qu’on n’aime personne d’autre que lui.

Le style vif et alerte, résolument contemporain d’ Hanif Kureishi auteur britannique, né à Londres d’un père pakistanais et d’une mère anglaise brûle. Connu surtout en France pour sa contribution aux films de Stephen Frears My beautiful laundrette (dont l’éditeur Christian Bourgois a publié récemment le scénario) mais aussi Sammy et Rosie s’envoient en l’air il fait partie des rares auteurs adpatés au cinéma par Patrice Chéreau. Un classique, issu de l’immigration pakistanaise, auteur dramatique à ses heures et qui se situe dans la droite ligne du théâtre et de l’esprit britannique d’ Oscar Wilde à Harold Pinter.

L’air de rien est une méditation implacable sur la vieillesse, le couple mais aussi sur l’amour et sa capacité à surmonter les difficultés liées à l’usure du désir. De son poste de grabataire empêché le personnage central de L’Air de rien voit tout mais n’exerce de maîtrise sur les êtres et les choses que par le truchement de son téléphone portable.
Avec cet instrument Waldo, filme, monte, coupe.
Ce petit roman est aussi une méditation sur l’art du film et du regard.

L’auteur de plusieurs scénarios de Stephen Frears posséde un sens du portrait quasi balzacien avec des personnages secondaires truculents comme cette actrice londonienne à la mode mais malheureuse en amour, ou cet escroc "bi" qui dépense des fortunes en psy pour sa fille perturbée.
Son humour et une ironie folle éclaire un sujet aussi sombre que le handicap et la fin de vie. On déplore certaines ellipses mais sans doute l’auteur a-t-il sacrifié à la volonté de rendre percutant son livre.

L’Air de rien est un roman court en forme de vaudeville noir et grinçant qui scrute un triangle amoureux toxique qui rappelle à bien des égards celui de Pascal Bruckner dans « Lune de fiel » et où on imagine bien - si l’œuvre fait l’objet un jour d’une adaptation au cinéma- quelques flegmatique comédiens anglais qui sauront donner à cet « air de rien », l’air de ne point avoir l’air ou celui de ne pas y toucher !

 

Hanif Kureishi, L’Air de rien, traduit de l’anglais par Florence Cabaret, Christian Bourgois, septembre 2017, éditeur 191 p. - 17 euros

 

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