Les belles ambitieuses : leçon de transcendance

D'un côté, Coquelicot : la fantaisie, la sensualité incarnée, de l'autre, Isabelle : le sérieux, l'ambition et entre les deux, Amblard Blamont-Chauvry, un garçon qui se cherche. Il n'est épris ni de l'une ni de l'autre mais passera les meilleurs moments de sa vie avec la première, épousera et divorcera de la seconde. Tous les trois font partie de la jeunesse dorée versaillaise du début des années soixante dix.

Dans cette bande, les garçons, trop dorlotés se montrent capricieux, vains. Les filles sont plus déterminées. Pour tous, les unions se profilent, passages obligés et ennuyeux, il faut bien perpétuer les patronymes.
Amblard n'y échappe pas, conscient dans une formule décapante que : "Mal assorti, le mariage est un crime parfait : 2 morts."

Dans les salons où évoluent les jeunes gens, politiques et académiciens se croisent, menant grand train sur les deniers publics. Un vieux ministre : "Tout fou de décorations, présidences, nominations à des conseils d'administration" tient table ouverte dans un palace où il fait hisser un drapeau à son chiffre lorsqu'il lui fait l'honneur de sa présence. 
Autres temps, autres mœurs ? Si peu…

Amblard, énarque, polytechnicien, particulièrement lucide, a compris très jeune qu'une vie de salon où il n'inventera rien, ne créera rien, l'attend : "Maintenir sera notre seule espérance", affirme-t-il.  Fort de ce constat, il décide  de ne pas brusquer sa nature et de prendre le plaisir que l'existence peut lui offrir entre cigares, bons vins et Coquelicot, cette fille rencontrée le jour de la visite de la reine d'Angleterre et dont il ne connaît ni vraiment le nom ni vraiment les occupations.
En observateur désabusé, à la fois acerbe et tendre, il observe ses comparses évoluer, notant vingt ans plus tard au sujet de Thierry d'Audignon, son meilleur ami que : "la société nous a portés, l'un comme l'autre. Nous ne lui avons pas demandé l'impossible puisque nous ne lui avons rien demandé".

Imparable. Dans cette caste fermée à double tour, où plane l'ennui  cotonneux des nantis, seules les femmes semblent vivantes, inventives, créatives. La comtesse de Florensac sa marraine, Coquelicot sa maîtresse, Isabelle sa femme, Maxime sa filleule, fille de Thierry, celles qui comptent ou ont compté pour lui sont toutes aussi expertes et ambitieuses les unes que les autres, chacune à leur manière. Les deux premières en intrigues et en placements financiers, la troisième en politique, la quatrième enfin qui réussit là ou on ne l'attendait pas, se construisant un avenir en opposition à ses parents.
Entre Versailles, Paris (un bref moment à Washington) et Rambouillet, Stéphane Hoffmann à travers Amblard Blamont-Chauvry décrit une atmosphère d'un monde en train de finir, peuplé de notables qui ont conscience de leur déclin : la dissolution de l'assemblée nationale en 1997 et le retour des socialo-communistes au gouvernement.

Ils savent la relative hécatombe à venir mais ne prennent rien au sérieux. "Né sans passion, je vis sans douleur", dit le héros. Les personnages  qui ont vécu en marge et en souvenir de l'Histoire, tout en croyant en avoir fait partie, sont auscultés avec précision et ironie. La belle plume classique de l'auteur restitue à merveille les ambiances feutrées des salons vains, s'anime en des paradoxes inattendus, des saillies pleines d’esprit ou des pages d'une beauté surnaturelle à l'évocation de l'amour des chevaux de Maxime, la petite cavalière humiliée. Celle qui découvrit un jour, étant à terre, la compassion d'un cheval réconfortant, est bien la véritable héroïne du roman. C'est elle, qui par sa sensibilité  et son courage subversif sauve contre son gré le monde de ses parents qu'elle honnit, avec son bien nommé "Haras de la lueur".
Comme si avec elle, l'univers décrit par Stéphane Hoffmann renaissait de ses cendres : "Je ne prends rien au sérieux parce que tout est toujours arrivé." Belle leçon de transcendance ou d'optimisme offerte par un dilettante humaniste.

 

Brigit Bontour

Stéphane Hoffmann, Les belles ambitieuses, Albin Michel, août 2018, 272p. - 19,50 euros

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