"Le Voyage de Mouri", Conte philosophique animalier d'Ilya Boyachov

Partir, c’est Mouri un peu…

A qui connaît son chemin, comme du reste à celui qui ne le connaît pas. 

C’est ainsi que l’écrivain russe Ilya Boyachov ouvre son roman, « best-seller » national selon l’éditeur, qui s’apparente plus à un joli conte philosophique qu’à un traditionnel roman russe. Après avoir évoqué l’évolution du concept de voyage et les dissensions philosophiques dont il est à l’origine dans l’antiquité chinoise, puis dans les pays arabes et enfin en Europe, l’auteur nous présente Mouri. 

Qui veut voyager loin ménage sa monture.

Mouri est un chat. Paresseux, fier de lui, arrogant, connaissant mieux que personne les bestioles du jardin et les esprits de la maison invisibles aux humains, et n’aspirant qu’à une seule chose : poser ses pattes quand bon lui semble sur son plaid et se faire nourrir par ces « marches-à-deux-pieds ». 

Mais Mouri est un chat yougoslave. Et quand, en 1992, son village n’est plus que ruines, Mouri va bien être obligé de s’en aller, afin de trouver un refuge à sa convenance… et de voyager, bien malgré lui. « Voyager », une idée bien étrange pour un être aussi amoureux de son confort matériel. Alors certes, s’il doit partir, il partira, mais en se ménageant : voyager est déjà un effort en soi. Traversant la Yougoslavie, l’Autriche, l’Allemagne, la Biélorussie, la Lituanie et la Finlande avant de s’arrêter (définitivement ?) en Suède, rencontrant une ribambelle de personnages plus loufoques les uns que les autres (un astronome obsessionnel, un alpiniste paralysé, un couple de pêcheurs lituaniens qui se quittent pour mieux se retrouver, les esprits qui hantent les différentes haltes…), Mouri échappe aux pièges du destin, bien convaincu que la seule raison pour s’arrêter sera de trouver un gîte suffisamment douillet. Mais aventurier, Mouri ne l’est pas vraiment. Il le devient. S’il profite de sa connaissance des humains pour les duper et profiter d’eux avant de partir sans crier gare, la route n’est pour autant pas sa spécialité. Elle le devient, peu à peu. Même si Mouri se refuse à le penser un seul instant. Il est le voyageur malgré lui, celui qui a un but au-delà de l’errance en elle-même. 

C’est le voyage qui vous fait…  ou vous défait. 

Le récit des pérégrinations de Mouri est entrecoupé d’aventures d’autres personnages, tous « itinérants » pour des raisons variées : un cheick passionné d’aéronautique qui défie les lois de la nature avant d’apprendre l’humilité, Dick, l’aventureux cétacé qui parcourt les océans, un juif errant, une oie qui n’a pas son pareil en calcul mental et qui est transportée de pays en pays… Faisant écho à la première partie, tous ces personnages incarnent un type de voyage, une manière de conduire sa vie, de se construire ou de se déconstruire, voire de se reconstruire. 

Qu’il narre les aventures de l’insensible Mouri ou celles de tous ces personnages migrants secondaires, Ilya Boyachov fait toujours preuve d’un regard à la fois critique, ironique, sarcastique mais aussi bienveillant, et si le sort de bien des personnages n’est que peu enviable, force est de constater qu’un véritable optimisme se dégage de ce conte philosophique. Le monde n’a pas à être nécessairement beau, les évènements qui font une vie n’ont pas à être forcément réjouissants… mais l’univers de Mouri est emprunt d’une dynamique profondément positive. On en vient, comme Mouri, à avoir confiance à la fois en soi et en l’univers, même s’il faut se méfier tout autant des deux.     

Conte philosophique animalier, le premier ouvrage de Boyachov est tour à tour drôle, émouvant, intriguant dans sa forme et intéressant dans son propos : une qualité non négligeable qui en fait un livre à lire et à relire tant les différents niveaux de lecture y sont variés, du plus simple au plus exigeant. 

 

Matthieu Buge


Ilya Boyachov, Le Voyage de Mouri, traduit du russe par Yves Gauthier, Gallimard, « Du Monde Entier », avril 2010, 192 pages, 19 € 


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