Philippe boutibonnes de la boue d’ombre au bout d'homme

                   

 

 

Philippe Boutibonnes, « La lumière offusquée, de l’ombre », L’Ollave éditeur, Rustrel (84400), 13 E., « Eve Gratamatzki », même éditeur, 64 pages, 16 E., Cinquante-six propositions pour faire du reflet une image, même éditeur, 13 E..

 

Boutibonnes sait que tout texte n’a ni commencement ni fin. Chacun des siens est donc coupé afin d’en multiplier les effets et la terminaison. Chacun d’eux est aussi l’ombre du prochain et la lumière de celui qui l’a précédé.  Entre autres, Philippe Boutibonnes sait tordre le cou d’Erèbe l’engendreur de la nuit. D’autant qu’il ne se laisse pas séduire par ses blêmes Parques. Preuve que pour lui la mythologie n’a rien de rassurant. Mais c’est sur son fumier que l’auteur entreprend - par ses réflexions en fragments poétiques - de tirer à la fois le dessin et le dessein de ses livres. Dans l’assemblage d’un réseau de pièces génératrices, il fait de chaque morceau numéroté une griffure sur l’écorce du temps loin des mises en conformités d’usage. Son logos charrie à la fois l’ordre et le désordre.

Le propos en conséquence est en rien normatif ou informatif. Il n’est pas plus succinct en dépit des apparences. Comme chez Eve Gratamatzki (pour laquelle un de ses livres est écrit) la brisure des lignes plutôt que de provoquer une interruption engendre un temps long de réflexion. De la sorte le lecteur ne tombe pas sous le joug de la détermination de la fausse évidence. Il  suit les rhizomes tumultueux de l’auteur en une composition du discours n’est plus seulement linéaire : elle est démultipliée de manière subtile et serrée. Elle peut provoquer chez les lecteurs primesautiers une fatigue, chez les plus attentifs elle crée une inflexion essentielle de la pensée.

 

L’auteur ne cesse de  la tourmenter. D’autant que pour la solliciter il affectionne une forme de parfait inachèvement dans une suite de « traits » parallèles ou au besoin obliques. Ils  viennent couper court à un effilochage douteux du discours en droite ligne. Chaque paragraphe ruine le précédent  mais pour le porter plus avant dans un mouvement de marée. Il  vise néanmoins à une continuité contrariée par réactivation d'itérations. Elles permettent de garder en tête ce qui dans une mise en ordre classique reste trop raisonnable et ingénu :  savoir l’ « inavouable ou chuchoté » dont les sourds échos réclament une dextérité particulière.

 

A ce prix des « champs magnétiques » chers à Breton  - physicien besogneux qui les avait court-circuités - rendent visibles des lacis d’ombres et de lumière ainsi que leur magma sous jacents tiré des temps les plus reculés et extirpé de dessous la peau de l’inconscient. Pour la percer l’auteur a su multiplier les césures. Chacun de ses livres est une « opération » donc une ouverture. Elle engendre l’inquiétude capable d’assurer la liberté de penser d’un sujet qui pour une fois n’emmène pas avec lui ses bagages. Se faisant porteur de ceux de l’auteur il en est libéré.

 

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

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