Geneviève Huttin entre mère et père

Les deux livres de Geneviève Huttin sont des demandes de la langue (lapsus de père) à ce qui reste de mère. Tout est prodigieusement là et absent. L’auteure avance dans le temps, dévale et gravit des marches. Elle avale le père, mâche la mère, glisse l’écriture dans la fente de l’histoire, traverse, taraude la langue muette du père : « quand j’ai su qu’il n’avait pas eu le dernier mot j’ai voulu rompre » mais ajoute l’auteure « Il en serait mort de chagrin.  Je ne pouvais pas reculer ». 

D’où ses fragments et ses No qui la hissent au rand d’une Ozu littéraire. Certes pour Geneviève Huttin  « la maison de l’être » chère à Bachelard restera bancale, caduque, car il n'existe de place que pour le manque et la père-mutation des rôles et des langues. Et il n’y a presque plus d’escalier  pour s’envoyer en l’air et respirer au grand jour.  Hanté par la culpabilité l’auteure se donne le droit à peu. Sauf, évidemment, le nécessaire. A savoir l’exercice de l’écriture qu’elle avait en elle avant d’avoir appris à parler. Elle  enfreint la loi du silence, du non-dit.

 

Celle qui fit beaucoup pour elle sauf le « nécessaire » (mais elle n’en «était pas capable)  trouve ici un sursis nécessaire entre rémission et constat. Si bien qu’un minimum d’instinct de conservation donne aujourd’hui encore à Geneviève Huttin le droit d’imaginer le pire mais tout autant de revenir au nœud primitif. Elle le détisse, le délite en espérant que les mots ne meurent jamais - surtout ceux qu’on assassine par anticipation et qui appartiennent - car morts-nés - aux limbes.  C’est pourquoi, au moment même où ceux qui restent s’étiolent dans le crépuscule, le rêve d’écrire se transforme en réalité : de reliques ils se métamorphosent en poésie puisqu’ils naviguent sur un peu d’eau vive.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Geneviève Huttin, « Une petite lettre à votre mère », Editions le Préau des Collines, Paris, 80 pages, 13 €, « Cavalier qui penche », (peinture de Christelle Rousseau), même éditeur, 15 €

Voir aussi le revue Le Préau des Collines, n° 14, 2014.

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