Enjambements de Sarah Riggs
Sarah Riggs détruit et augmente la langue par des suites d’enjambements à diverses distances dans un « journal » qui se constitue par surprise et récits en fragments d’actions. Ils se disent et agissent les uns sur les autres en un système de captation et d’aspiration :
« ce n’est pas de l’herbe the sun and the blue
quelque chose qui ne va pas surely it’s
that une tendance vers la droite and the
straight il méritait bien plus que ça in
the drowning des couronnes like I said
comme je t’avais dit I don’t know where »
L’enjambement fait que non seulement et comme le désirait Bataille « le ver se déshabille » mais le texte lui-même se met à nu pour montrer « du » corps. La phrase s’arrête en se continuant d’une langue à l’autre afin que surgisse non un « zoon logikon » (animal logique) mais le vivant du langage « augmenté par son augmentation » (Faye) d’une langue à l’autre. Il existe là une expérience de « transvaluation » drôle. Elle est moins un nihilisme qu’une affirmation paradoxale de faire vivre le langage par l’enjambement de l’anglais et du français le tout dans une corrélation des langues poursuivie par delà celle de Scève écrivant
« Si le désir, image de la chose
Que plus on ayme est du cœur du miroir ».
Dès lors le désir, image au miroir, lui-même miroir, va enchainer, lignes, vers, langues, glissements de sens. Tout est certes enchaîné mais surtout se déchaîne. Le livre reste le superbe enjambement d’une langue à l’autre, d’un corps à l’autre. La jointure tient lieu d’écartement.
Jean-Paul Gavard-Perret
Sarah Riggs, Each 10 minutes, Contrat maint, Toulouse.
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