James Baldwin, Chassés de la lumière

Le premier mérite de cette première édition intégrale de cet ouvrage est de nous rappeler ou révéler l’originalité de cet auteur noir américain et l’époque de la lutte des peuples pour leur indépendance (en Algérie) ou leurs droits contre le racisme (aux Etats-Unis). « Des procès, des assassinats, des enterrements, le désespoir ont retardé la rédaction de ce livre », note-t-il. Mais, en le lisant, on réalise que tous ces empêchements sont la matière même de ces écrits éclatés ou, si l’on préfère, mis en séquences dans le respect de la chronologie. Il s’agit d’une sorte de work in progress, formé de reportages et de commentaires sur son long exil en France pendant la guerre d’Algérie et sur ses déplacements en tant que reporter dans le sud des Etats-Unis (si mal dénommés !).

 

Le titre, Chassés de la lumière, fait référence à deux versets du Livre de Job, mis en exergue, qui illustrent la position précaire de l’écrivain lors de la rédaction de ce travail : « Son souvenir disparaît du pays / Son nom s’efface dans la contrée. » Dès 1948, en effet, James Baldwin émigre en France car il comprend qu’en tant que Noir et homosexuel, la vie en son pays natal lui est rendue impossible. Il se présente comme un écrivain noir engagé non sans contradictions puisque son statut à part dans la société lui permet de la critiquer sans perdre ses avantages matériels ni craindre pour sa vie. Il lutte donc aux côtés de ses amis Malcom X et Martin-Luther King, deux figures emblématiques d’idéologies antagoniques qui l’amèneront à clarifier sa propre situation et à définir une position : « (…) l’espoir – que nous, êtres humains pouvons devenir meilleurs – a la vie dure. Peut-être ne peut-on plus vivre si on le laisse mourir. Mais c’est aussi dur de voir ce que le monde nous offre. On découvre que la plupart des hommes sont malheureux et tôt ou tard deviennent méchants parce que leur malheur est trop grand. » Cette démarche fait songer à celle de Paul Nizan dans Aden Arabie, publié en 1931, où l’on peut lire, entre autres affinités de pensée : « Il n’existe que deux espèces humaines qui n’ont que la haine pour lien, celle qui écrase et celle qui ne consent pas à être écrasée. »

 

En définitive, tout le long de cette errance géographique, politique et existentielle, il se sent acculé. D’ailleurs à propos de Camus, il remarque qu’ « il ne pouvait pas voir que la bataille d’Alger était le refus des Français d’accorder aux Algériens le droit d’avoir tort. Il leur refusait cette situation existentialiste si chère aux Français à une certaine époque. » C’est pourquoi il opte pour une lutte qui passe par une révolution intérieure et se voit contraint de retourner au pays car, écrit-il, « tous les autres payaient leur part, il était temps pour moi de rentrer payer la mienne ». Il s’est rendu compte que, lors de son exil, « d’une certaine façon, j’incarnais, sans vraiment m’en rendre compte, le Grand Espoir Noir du Grand Père Blanc ». Il ne s’agit pas pour autant d’entreprendre une lutte désespérée, il pense que « la vérité qui libère les Noirs libèrera aussi les blancs mais ceux-ci ont du mal à l’accepter. » Avec les événements récents où des policiers américains blancs molestent, matraquent et flinguent les Noirs en toute impunité sous le regard impassible d’Obama, force est de reconnaître que Baldwin a mis le doigt sur une réalité qui malheureusement perdure.


Patrick Mouze

 

James Baldwin,Chassés de la lumière (1967-1971) traduction de Magali Berger, Ypsilon contre-attaque, 228 p, 17 €.


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