Tristan Félix la nouvelle Ovide

Dans la haute littérature, généralement l'histoire de la douleur est insécable de la condition humaine et plus largement de tout ce qui est vivant. Elle semble avoir été inventée afin que les êtres soient rivés à la condition de mollusques souffrants.

Tristan Félix tord de telles idées reçues. Mais son livre est-il vraiment un roman ? Sans doute par sa forme chronologique qui déroule le journal intime de l'héroïne. Néanmoins il dépasse les territoires de l'habituel plâtras romanesque. Faire preuve de fantaisie suffit pour que "pulpe" la fiction.
Au sein de l'organisme d'Ovaine, âmes et animaux se croisent, se battent, se ratent et se retrouvent. Successivement ou plutôt en concomitances animales et humaines, les histoires vont, meurent, reviennent entre métempsychoses et métamorphoses.

Ovide n'a qu'à bien se tenir. Tristan Félix le dépasse à mesure que se construisent ses récits : épopée des oubliés, chants des perdants, grand livre du vivant cohabitent dans ce projet immense.
S'inscrit une légende hirsute à l'attention de celles et ceux qui  parient uniquement sur la catastrophe. Ils trouvent un remède à leurs maux par les mots de la créatrice. Ils s'offrent à une méditation gourmande et à un rire de goéland.

De manière grave et drôle, détachée et prégnante l'auteure rassemble des vignettes de divers moments. Son imaginaire devient voyant sans faire de nous des voyeurs. Saillissent du silence des voix non seulement qui se sont tues mais des qui n'ont jamais ou droit à l'existence.
Trstan Félix scanne des pénombres. Dans les brèches de ses récits se découvrent des moments, des lieux retirés de l’être. Celui qui les lit  grelotte sans qu’il puisse savoir si c’est de froid, de fièvre, de peur ou de rire.
Implicitement l'auteur fait appel à des luttes personnelles où autrui n'est pas un ignoré ou l'objet d'un simple discours. Les animaux y ont la partie belle quel qu'en soit le genre ou la qualité.

L'auteure les préfère à la conscience et elle a bien raison car celle-là n'est que la partie émergé d'un iceberg douteux dont on fait semblant d’accepter le verdict. Mais c'est toujours une vue de l'esprit. Il y manque ce qu'un cinéaste nomma les 24 grammes d'âme que l'animal apporte. Qu'importe le poids mais c'est par elle que tout passe - ou ne passe pas.
Plus besoin d'aller plus loin. C'est pourquoi la poétesse fait retour à la bête pour retrouver des repères enfouis ou inédits. Ils nous entraînent - comme si nous devenions un enfant ou un vieillard qu’il faut brusquer un peu et «pour son bien» -  vers des évocations qui sont autant de secrets inédits exhumés. Et ce avant que toutes les âmes, ayant perdu leur blondeur d’épi,  deviennent grises comme des chats dans la nuit.

Jean-Paul Gavard-Perret

Tristan Félix, Ovaine La Saga, éditions Tindbad, mars 2019, 228 p.-, 23 euros

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