Chantal Chawaf : ici et maintenant

Chantal Chawaf avec Relégation veut démettre la lectrice ou le lecteur de ses réflexes acquis. Aux histoires de fétiches féminins fait place celui de la chute quasiment programmée d'une héroïne qui a perdu ses deux parents à sa naissance. Dans un premier temps la vie de château (à tous les sens du terme)  semble pouvoir se poursuivre au sein d'une lignée qui a fait sa fortune dans le textile.

Mais ce château est à la fois en ruines et hanté. Il devient le théâtre d'une relation fusionnelle à fort carburant incestueux. Et ce avec l'oncle qui après avoir recueilli l'héroïne va la chasser pour le remplacer par une épouse presque aussi jeune qu'elle.

Des stucs  de la bâtisse ancestrale, le livre bascule dans "la banlieue de la banlieue". Commence une errance sordide où finalement et après avoir touché le fond, l'héroïne rebondira grâce à une sororité imprévue et d'abord improbable  une fois que le rêve de l'homme-mère est effacé.

Ne renonçant pas à une scénarisation peut-être trop marquée et un langage parfois didactique, Chantal Chawaf prouve que ce qu’elle donne à voir n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. La femme en son image n’est plus la fleur du secret ou la propriété de l’homme. Elle retrouve pas à pas, pied à pied, son identité, son intimité et s’inscrit en faux contre la convention collective des certains pactes sociaux.
Elle devient l’intruse plus que l'expulsée. Elle perturbe le coeur masculin qui l'avait rejeté de sa tour d'ivoire. "Deux ombres, deux fantômes, deux recluses" vont raviver un enchantement par une sororité sans ambiguïté.

L'héroïne récupère à la fois la puissance du lien et sa propre liberté. Avec celle qu'elle rencontre "nous sommes mère et fille, la fille dans la matrice de la mère, la mère dans la matrice de la fille" dit-elle. Une transmission a enfin lieu hors des liens du sang en  cette fusion où un monde futur peut naître au delà même du cas des deux protagonistes.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Chantal Chawaf, Relégation, éditions des femmes - Antoinette Fouque, mai 2019,158 p.-, 12 euros

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