Catherine Wolff, l'art d'être soi

Catherine Wolff ajoute un nouveau roman à son palmarès d’écrivain populaire. Une fiction "de terroir", mais pas seulement : l’aventure et le mystère sont au coin de la page, en un subtil entrelacement entre surface et profondeur qui remonte...

Son nom de plume qu’elle porte à la ville comme aux champs sonne franc et clair comme son terroir natal. Mais Catherine Wolff n’écrit pas que des romans dits de terroir, fussent-ils plus vrais que nature...
On l’aura compris, il y a autre chose... Un monde en plus ? Plutôt une déchirure dans la trame de ce que nous tenons pour le réel : J’aime ménager dans mes récits différentes entrées entre le monde réel et celui dit "irréel" qui n’est qu’une autre dimension de la réalité... J’ai un côté mystique et je suis à l’écoute de la nature et du silence afin de pouvoir me connecter à d’autres fréquences et à d’autres niveaux de réalité.

Romancière populaire, Catherine Wolff construit ses intrigues en y distillant cette inquiétante étrangeté qui est comme un pinceau de mystère éclairant ses récits d’un rai de lumière spectrale.
Elle ne se prive pas de dire le bonheur et le plaisir qu’elle éprouve à faire ce qu’elle aime – créer, comme pour prendre la juste mesure d’une force de résistance, au sens électrique du terme, à tout ce qui se défait – comme les corps qui se froissent ou les sociétés qui se crispent en des nœuds inextricables de tensions avant de s’effondrer :
Je suis épicurienne, passionnée de la vie, avec une forte attirance pour tous les domaines du savoir : j’aime tout découvrir et tout apprendre. Il y a des questions qui me taraudent comme : qu’est-ce qu’il y a après la mort ?  Je parle du lien entre les vivants et l’âme de ceux qui sont partis. La vie de chacun sur Terre ne représente qu’une infime nanoseconde, la mort arrive si vite et pourtant rien n’arrive par hasard : tout est lié.  Quand on quitte ce monde, on continue sa vie. Autant tenter l’aventure et la perfection pendant ce bref passage en sortant du cadre convenu : la seule chose que je ne pourrais jamais pardonner, c’est la médiocrité...

Ainsi fait-elle œuvre de guetteuse ou de vigie d’un au-delà qui ne se révèle qu’à ces conducteurs d’électricité mentale peu disposés à se satisfaire des apparences, fûssent-elles des mieux  établies...

L’aventure de la perfection

Ses grands-parents tenaient une auberge à Wasselonne. Son père Lucien est un grand lecteur – et un grand taiseux pour qui parler était le comble de l’oisiveté : Sa parole était rare, mais précieuse...
La rareté de la parole, on le sait, peut révéler une qualité d’attention et d’écoute portée à son incandescence dont Fille a gardé le bon usage.
Sa mère Yvonne avait été fille au pair dans un grand château en Suisse – elle était un livre d’histoires à elle toute seule.
Mais l’art d’être soi est d’abord une quête, un tâtonnement, toute une recherche – bien avant d’être un sacre ou l’accomplissement plus ou moins précoce d’une vocation : J’ai toujours ressenti l’étrangeté de ne pas être à ma place. Qui pourrait savoir où se trouve la sienne ? Un jour, mon professeur de français au collège de Wasselonne, Mlle Deveaux, m’a encouragé à écrire en m’appelant "futur écrivain". Elle m’a prise sous son aile et j’ai commencé à écrire des nouvelles. Au lycée Henri Meck de Molsheim, ça s’est confirmé.

Après la faculté de lettres, un BTS Tourisme au Lycée hôtelier d’Illkirch et diverses expériences professionnelles (dont celle d’hôtesse de l’air), Catherine  Wolff publie des nouvelles dans le très populaire magazine Nous Deux. Peu après, elle publie son premier roman historique, Le Siècle maudit (éditions du Bastberg, 2002), dont l’accueil public plus que chaleureux l’encourage à persévérer avec un recueil de nouvelles, Le Ventre des sillons (Bastberg, 2004). Après d’autres romans publiés en région, elle accède à l’édition  parisienne avec Le Secret de la vigne bleue (City éditions, 2017) – après un passage par de Borée (La Rose dormeuse, 2016) : Si je ne suis pas pour les situations établies, je me réjouis d’avoir trouvé un rythme et une voie avec City éditions. Je leur dois trois livres...

Un mariage l’avait amenée en région parisienne pendant un septennat. Mais le heimweh la taraude et elle renoue non seulement avec ses racines mais aussi avec la nécessité de la littérature comme activité certes dérisoire mais ô combien indispensable pour remplir des blancs ou recoudre les déchirures d’un temps plus que rempli quand on sait par où passe l’aiguille. Mais où en trouver encore, de surcroît ?

Le bois dont on fait les meubles...

Elle s’installe un atelier à domicile en pleine campagne et restaure des meubles anciens selon les concepts en vigueur contre l’entropie : Il s’agit de création et de transformation de meubles anciens dans l’esprit Schabby, un romantisme soft exprimé en couleurs pastel. Il y a aussi le Bohemian chic où dominent le rouge et le vert. C’est au goût du client. Je retapisse des fauteuils Voltaire comme des chaises Henri IV et je restaure des commodes, des bahuts et autres mobiliers de toutes les époques. Là, je suis toujours dans le défi : tout est transformable à volonté, même la matière...
Son quotidien n’est pas que pastel, en rose et blanc. Elle est souvent sur la route, multipliant les expositions de ses créations mobilières comme les séances de signatures de ses livres et les conférences : Ce sont là deux genres de créations absolument complémentaires. L’une est davantage physique, c’est un corps à corps avec la matière, et l’autre sort de l’esprit : les deux se rejoignent sur l’essentiel... Je me sens artiste dans l’âme et je suis persuadée que l’on pourrait faire de tout. Il faut être capable de croire à ce qui n’existe pas encore. Je présente à l’hypermarché Leclerc de Wasselonne mes créations printanières et automnales lors de rendez-vous bi-annuels. Sans oublier les autres salons de créations mobilières et bien sûr les salons du livre qui sont légion, que ce soient ceux de Colmar, Saint-Louis, Marlenheim le 4 avril et tous ceux qui ont lieu en Lorraine comme Boulay en juin...

Mais son imaginaire n’a que faire des nouveaux concepts volatils dans l’air du temps, des modes et des retours de mode. Tout est dans l’impulsion initiale : elle entre en matière et dans son histoire comme un soc en campagne traçant son sillon selon des rituels bien établis : J’ai pour règle de ne jamais abandonner ce que j’ai commencé.
L’existence ne serait sans doute qu’une course erratique et sans issue sur l’écume des choses sans ce pouvoir organisateur et ordonnateur du réel à notre portée... C’est tout l’art et toute l’aventure d’être soi jusque dans l’âme des objets inanimés et le temps arrêté du livre.

Le bois dont on fait les héroïnes

L’Héritage des sœurs Walter assume allègrement tous les standars du roman de terroir et les vérités d’un passé bien documenté : dans un village à l’ombre du Mont Ste-Odile, Florentine et Louise Walter héritent de la menuiserie paternelle, en une Belle Epoque qui n’est pas tendre pour les femmes : C’est l’histoire de deux femmes à la conquête de leur liberté dans un monde fait pour les hommes...
La menuiserie se retrouve au bord de la faillite et les deux soeurs tombent dans les serres d’hommes de proie – ou, si l’on préfère, d’homocules si peu providentiels...  Vont-elles en venir à s’affronter ? En ce temps-là où le réel est comme une lame à reflets durs qui entame les corps et les rêves, vivre ce n’est que survivre à force d’accommodements avec le pire. Le scénario cogne, il ne manque plus que la caméra tremblée pour restituer dans le théâtre d’ombres mouvantes du cinématographe l’image de ces vies que l’on laisse derrière soi pour tenter d’en gagner une autre...

Catherine Wolff pourrait sans doute faire siennes ces paroles d’Une Fille de l’Est, la chanson de Patricia Kaas : Je suis d’une région, d’une langue, d’une histoire/Qui sonne loin, qui sonne bataille et mémoire/Celle qui m’a vu naître, qui m’a faite ainsi que je suis faite/Une terre, un caractère, celle que je reste...
Ainsi s’accomplit dans ses visions tremblées et ses réalisations une vocation de fille bien de sa terre et de son histoire dans sa contribution au rayonnement du patrimoine régional. Une autre grande Alsacienne, Louise Weiss (1893-1983), n’avait-elle pas pour devise : être de son terroir pour mieux le transcender ? Être pleinement soi sur sa terre est une épreuve avant d’être un sacre – infiniment rédemptrice dans son dévouement à ce qui nous dépasse.

Michel Loetscher
 

Catherine Wolff, L’Héritage des sœurs Walter, City éditions, février 2020, 256 p.-,17,90 €
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Paru dans Les Affiches d'Alsace-Lorraine

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