"La Fille automate", nouvel étalon du roman d'anticipation politico-écologique

Dans un futur proche, une crise énergétique majeure a bouleversé l’Humanité dans son mode de vie, voire ses codes sociaux, politiques et moraux. Ne subsiste que l’énergie calorique, en lieu et place des anciennes énergies fossiles mais aussi comme seul étalon monétaire. Manipulations génétiques et bioterrorisme sont le lot quotidien d’un monde en plein chaos, proie facile pour des multinationales avides. Dans ce contexte explosif, bienvenue en Thaïlande avec ses bidonvilles, ses pauvres, ses survivants, ses intrigues.

Emiko, produit des progrès génétiques et poupée destinée aux plaisirs de riches hommes d’affaires, s’émancipe et part en recherche d’une humanité qui lui est étrangère. S’ensuit alors une quête jonchée de cadavres, où la frontière entre bien et mal paraît plus ténue que jamais, avec pour seule destination, le pays des automates, « El Dorado » de ces laissés pour compte pouvant lui apporter la quiétude qu’elle recherche.

Aux frontières de l’aube

La Fille automate, c’est avant tout un chemin de croix pour l’ensemble des protagonistes. Avec maestria, l’auteur nous entraîne toujours plus loin vers le calvaire de l’humanité, représentée que par cette poupée en pleine recherche existentielle. Ne ménageant jamais le lecteur, il l’entraîne vers une singulière et tragique épopée, dans une ambiance funeste aux allures de fin du monde. Jamais manichéen, et encore moins moralisateur, son récit mêle politique-fiction, parcours initiatique et tableau glaçant d’un univers à la dérive. Sans condescendance, il insuffle une vision pessimiste sans verser dans la surenchère d’une certaine forme de société, la nôtre.

Le jusqu’au-boutisme des multinationales, le contrôle déshumanisant et totalitaire de l’immigration, la question de l’énergie, le concept même d’humanité : tout s’entremêle dans une fresque nostalgique aux figurants essoufflés par le rythme anarchique du monde auquel ils appartiennent. Survivre est ce qu’ils font de mieux, à n’importe quel prix. Le gris est la couleur dominante de cette histoire, la préservation la qualité intrinsèque de tout à chacun. Et au milieu de ce tableau aux tons maussades, un être ni tout à fait synthétique, ni tout à fait humain qui donne à chacun raison de méditer, aussi bien sur ses motivations profondes que ses choix quotidiens. Mais en lieu et place d’une symphonie dithyrambique dédiée à son héroïne, Paulo Bacigalupi décrit son douloureux parcours initiatique, symbolisé par sa torture initiale. Sans fioritures, ni détours il nous conduit sur l’autoroute du misérabilisme humain.

Le crépuscule des maîtres

Il aura fallu deux ans pour avoir La fille automate entre nos mains, traduit dans la langue de Molière. Après avoir remporté toutes les récompenses du genre (Prix Hugo, Nebula et Locus), on nous offre enfin la chance de découvrir cet auteur méconnu du public français. Car l’auteur s’inscrit dans une tradition de la science-fiction de description d’un futur plausible et proche, reprenant les termes du débat géopolitique, social et philosophique initié par Gibson et Stephenson (dont il admire le travail) avant lui dans le genre cyberpunk. Le choix de la Thaïlande comme épicentre du récit est d’autant plus judicieux, symbole touristique mondial mais aussi lieu d’une misère intérieure terrifiante, pourvoyeuse d’une prostitution infantile dont l’héroïne Emiko est le chantre ici.

Bacigulapi, qui désire ardemment expliquer et comprendre le présent par la science-fiction, le fait ici avec avec brio et finesse et aussi une bonne dose de cynisme. Lui qui regarde peu de films nous offre sur papier un croisement entre Soleil Vert, Blade Runner et Ghost in the shell 2.

Si l’idée même d’un ordinateur à pédales vous intrigue, si la remise en cause de l’utilisation des organismes génétiquement modifiés ou des énergies fossiles vous tient à cœur, et bien plus encore, suivez donc cette créature synthétique de chair et de sang, plus humaine qu’il n’y paraît.


François Verstraete

Paulo Bacigalupi, La Fille automate, traduit de l'anglais (USA) par Sara Docke Au diable Vauvert, février 2012, 595 pages, 23 euros


Lire l'entretien accordé par Paulo Bacigalupi à propos de La Fille automate

1 commentaire

heyananekelucas@live.fr

Sur fond de dérèglement climatique et de dérive de la société moderne, je vous invite à découvrir Renaissance, une fiction surréaliste mais totalement plausible. L'auteur suit, en effet, le parcours d’une famille dont la vie va être profondément bouleversée. Alexandre, le père de famille, fait preuve d’un extraordinaire instinct de survie. Il pressent l’imminence d’une catastrophe climatique et décide précipitamment de tout quitter pour se réfugier avec ses proches en altitude, dans le massif des Bauges, en Savoie. Une microsociété fragile et inexpérimentée va alors se constituer dans laquelle chacun va devoir trouver sa place. Un monde à la fois plus exigeant, mais tellement plus simple à bien des égards se dessine peu à peu. Les protagonistes de l’histoire se rendent peu à peu compte que cette terrible épreuve est finalement peut-être une formidable chance pour eux et pour le monde qui a survécu. Malgré les privations du confort moderne et les dangers qui guettent, le bonheur semble plus accessible.
 
Ce livre défend les principes fondamentaux de toute vie en société : solidarité, respect, éducation et préservation. Il interroge aussi le lecteur sur la nécessaire prise de conscience collective de nos impacts individuels sur la société tout entière. La fin est totalement inattendue et redonne du poids au choix du titre du roman. Après avoir voyagé au creux de ces magnifiques montagnes sauvages et préservées, le lecteur revient à sa réalité avec de nombreuses questions auxquelles il peut entrevoir certaines réponses. Que faudrait-il faire pour que cela n’arrive jamais ? Si cela devait malgré tout arriver, comment nous comporterions-nous nous-mêmes ?

Je vous invite à visiter le site du livre : http://renaissance-le-livre.blogspot.fr/