Félicien Rops : procéder "à la diable"

Dans une lettre datée du 20 février 1879, Félicien Rops écrit "Je procède presque toujours à la diable. Je fais un croquis, je le grave, je retrouve le croquis, je le modifie et j’en fais un autre dessin. Quelque fois le contraire a lieu…D’où les mélimélos bizarres de mon œuvre".
Dans une autre correspondance, il écrit encore : "J’ai fait avant de partir un grand diable de dessin…".
Il s’agit de ce qui est sans aucun doute l’œuvre la plus célèbre de l’artiste, Pornocratès, aquarelle, pastel et rehauts de gouache, de 1878, qui n’a cessé d’appeler les commentaires extrêmes et d’aimanter les mots également qui en exagèrent, dans un sens comme dans l’autre, la portée : scandale, lubricité, liberté, modernité, obsession, perversité. Il décrit cette "grande femme nue la plus belle" qu’il a pu trouver, "nue comme une déesse, en bas de soie à fleurs rouges".

Il faut pour tenter de comprendre, se reporter à ce qui pourrait constituer la genèse mentale de ce tableau, la vie de Rops lui-même, la mort de son père alors qu’il est encore adolescent, sa jeunesse un peu bohème, ses aspirations artistiques qui le font côtoyer le milieu engagé de son temps, son adhésion au Groupe des XX, son goût pour la provocation et la caricature, un humour qui grince à souhait, ses nombreuses relations amoureuses, l’époque qui, à la manière de Barbey d’Aurevilly et ses Diaboliques, ouvrage paru pour la première fois en 1874 et pour lequel Rops compose les illustrations, affectionne le symbolisme et les nouvelles formes esthétiques à la mode en cette fin de siècle, jugé par beaucoup décadent. Il exécute le frontispice des Epaves de Baudelaire (1866), une eau-forte dont l’explication commence ainsi : "Sous le Pommier fatal, dont le tronc-squelette rappelle la déchéance de la race humaine, s’épanouissent les Sept Péchés Capitaux, figurés par des plantes aux formes et aux attitudes symboliques…"
 

Félicien Rops peut agacer, crisper, il peut révolter pour ses outrances, on ne peut lui enlever un talent radicalement atypique, son style sans pareil en rupture des codes de la bourgeoisie dans laquelle il ne se reconnaît en rien même s’il n’en rejette pas ce qui peut servir à sa carrière, par exemple les éditeurs et le domaine de la publication.
Rops voyage, il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1889, il accède en 1868 à la vice-présidence de la Société libre des beaux-arts de Belgique. Il se veut à l’avant-garde, il a l’esprit et la virtuosité d’un pamphlétaire, il combat toute censure.
"Ses fantaisies démoniaques" vont séduire l’écrivain belge Camille Lemonnier qui lui consacre un livre.
"Rops est le maître raffiné et corrosif, le suprême artiste des perversités de l’amour, le semeur de la graine de péché et de vie aux champs de la folie. Son existence s’était arrangée là en ordonnances volontaires et libres ; s'étant voulu hors cadre, il y vivait sa vie et toute la vie à la mesure de sa conscience, sans feinte, avec droiture et franchise, comme il avait voulu son art."

Ouvert en 1964, le musée de Namur consacré à Félicien Rops, ce "Belge indécrottable",  déploie largement l’éventail d’une œuvre foncièrement inclassable dont la réputation reste "sulfureuse" aux yeux de la critique qui met de côté sa force "fantasque, libre et moderne".
De nombreux thèmes sont abordés.

Un jardin a été aménagé pour rappeler la passion de l’artiste pour la botanique. Si Rops provoque, il invite aussi à mieux regarder une réalité sociale dont il dénonce les défauts et les excès d’une époque dont il se fait le témoin à travers un art "loin des convenances", parce qu’écrit-il, "je ne sais peindre que les choses que j’ai vues et senties".

Très documenté, reprenant pour titre la transposition de la devise attribuée à la famille des Rohan (Roi ne puis, duc ne daigne, Rohan suis), contribuant grâce choix de correspondances à donner un éclairage neuf sur "le tant folâtre Monsieur Rops*" et son incroyable parcours, cet ouvrage, en une vingtaine de chapitres rédigés par onze auteurs, présente les divers visages d’un créateur de mots, d’images, de postures aussi déroutant qu’attachant, capable d’exécuter des paysages et des portraits intéressants mais aussi des gravures et des dessins dont la verve et la causticité naissent à l’infini sous la vivacité du trait. 

 

Dominique Vergnon

 

Collectif, Félicien Rops (1833-1898), "Rops suis, vertueux ne puis, hypocrite ne daigne", 240x300, 187 illustrations, Somogy éditions d’art/coédition musée Félicien Rops-province de Namur, octobre 2017, 248 p.-, 32 euros.

 

* Baudelaire

 

 

 

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