Alberto Magnelli, les formes de l’émotion

Dans une interview donnée peu de temps avant sa mort le 20 avril 1971, Alberto Magnelli dit ce qui pourrait sembler une banalité et pourtant est une vérité qu’il convient de ne pas oublier, même si les modes actuelles tentent parfois d’en noyer la valeur : "L’art doit donner une émotion… remonter l’esprit."
Par leur simplicité, leurs thèmes tirés de l’expérience vécue, la sincérité des attitudes essentiellement humaines, les harmonies de couleurs souvent poussées jusqu’à la dissolution des tons, les œuvres de ce peintre, né au cœur même de Florence en 1888, qui sont présentées dans cet ouvrage portent en elles une part de cette émotion, de façon à la fois évidente et discrète.

Un style qui "retrouve la force et la sobriété" de ces maîtres de la Première Renaissance qui ont accompagné son regard depuis l’enfance, même si la facture en rien ne les rappelle, sinon à la manière d’un lointain héritage. Il le souligne lui-même, il a longtemps gardé ce regard d’enfant qui lui a donné une indépendance assumée jusqu’à la fin de sa carrière.
Ses rencontres avec les futuristes italiens et les grands artistes de l’époque, Pablo Picasso, Fernand Léger, Henri Matisse, enrichiront certes ce regard mais sans lui ôter la liberté qui le caractérise. Il aura également une correspondance soutenue avec Guillaume Apollinaire.   

 

Ce livre annonce la prochaine parution du catalogue raisonné de son œuvre peint. Un événement non seulement pour ceux qui aiment cet artiste mais pour ceux qui voudront en découvrir l’ampleur et la diversité. Il est courant de ne retenir de Magnelli que son rôle de pionnier de l’abstraction, ce qui risquerait de le limiter à cela. Sa longue carrière montre au contraire les évolutions et les changements d’approche de son regard sur le réel et de sa méthode d’en appréhender le sens visible et les ressorts qui le sont moins. Ces anciens maîtres italiens qui lui sont proches par bien des liens, il les honore en quelque sorte, par une écriture fluide et une poésie des formes, à l’évidence de son temps mais reliées à ces canons qui à leur époque, régissaient les arts. Arrêtons-nous sur un temps de son travail, ces années 1920, où "le banal est l’inattendu".
Les sujets sont devant lui, il pense pourtant, dans l’exact temps de leur exécution, à Giotto ou Masaccio.

 

Ce sont des moments de vie qui se figent sans perdre leur mobilité puis soudain se dévoilent dans l’immédiateté de l’action (Les Paysans à table, huile sur toile de 1922), les gestes des travailleurs de la terre (Il Zappatore), les faits du quotidiens qui deviennent des révélateurs communs à tous (Le Couple). C’est par les effets de tons que le volume apparaît, par des contrastes légers que les distances surgissent, par des camaïeux qui s’imposent que frémit la vie. Il est intéressant de noter à cet égard ce que note l’auteur, "la toile plane, si elle refuse la perspective classique et ses vues illusoires, peut néanmoins capter le monde extérieur". Les rythmes qui se croisent sur ces tableaux et proposent une lecture immédiate préfigurent ceux qui par la suite le feront entrer en vainqueur dans l’abstraction.  

Cet autodidacte qui "expérimente en continu" est d’abord un créateur authentique, un inventeur qui part seulement de ce qu’il voit, le filtre, lui donne une dimension nouvelle, le recompose, l’enrichit, prend ses distances, transpose, en retranche l’inutile, tout cela avec sûreté de la main et certitude de la pensée. Une citation choisie par l’auteur, historien d’art et commissaire d’expositions, tombe à propos. Elle est  empruntée à Alain Robbe-Grillet, écrivant que "toute œuvre d’art est une architecture vide qui ne tient debout que par sa forme."

L’exemple de la fresque de Masaccio, réalisée autour de 1425, Adam et Eve chassés du Paradis, reprise et transformée par Magnelli, en adoptant des proportions nouvelles, s’organisant selon des lignes souvent cassées et des couleurs différentes, met en relief  autant l’imagination de l’artiste radicalement éloigné de son modèle que l’habileté de la composition et le goût d’une esthétique propre à lui.
Un chapitre intitulé Petit parcours dans les peintures de Magnelli à travers les collections des musées dans le monde, présente l’itinéraire artistique de l’artiste italien, depuis ce paysage de neige, à la fois doux, froid, silencieux, épurée et féérique, jusqu’à ces constructions arbitraires, manifestes de pure abstraction et d’une écriture sèche et minérale et malgré tout lyrique. 

Dominique Vergnon

Daniel Abadie, Magnelli et la Peinture inventée, 22x28 cm, 77 illustrations, Somogy-Galerie Boulakia, février 2018, 88 p.-, 25 euros.

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