Disparaître sans partir de chez-soi

Quand Susie, une peintre en décors décroche un nouveau contrat, elle ne peut que s’interroger : le propriétaire de l’immense appartement qui lui demande d’habiller les murs d’une fresque, indique que c’est pour son fils disparu depuis un an. S’il revient, dit-t-il, de façon mystérieuse.
Elle commence son travail mais doit impérativement être partie à quatorze heures. Dans le logement inhabité, une femme de ménage et une cuisinière viennent chaque matin. Elle devine bientôt qu’un médecin intervient l’après-midi.

Quelques jours plus tard, elle tombe au détour d’un couloir sur un inconnu famélique qui lui cause la peur de sa vie. Elle décide alors d’abandonner quand elle rencontre la femme du propriétaire qui l’informe que le fantôme entrevu est son fils. Il n’est pas parti, il est un hikikikomori, un reclus volontaire. Il ne quitte plus sa chambre, n’a plus aucune vie sociale. Elle ne l’a plus revu depuis son retrait.
Elle explique que celui-ci s’est fait très progressivement jusqu’au jour où il n’est plus allé au lycée, n’est plus venu dîner. La situation est devenue si grave, si invivable que les parents et la petite sœur ont préféré aller habiter ailleurs. Cohabiter avec un fantôme, entendre les bruits de la vie quotidienne derrière la cloison sans jamais communiquer avec lui était devenu invivable.
Bouleversée par le récit, l’artiste décide de reprendre son labeur et peu à peu, à sa grande surprise, le dialogue va s’établir entre le garçon et elle-même, fragilisée par la perte de sa sœur au Bataclan et sa blessure à la cuisse qui la fait encore souffrir.

Avec délicatesse, Sophie Carquain décrit le rapprochement de l’adolescent et de la jeune femme, l’un brisé par les attentes de ses parents et de la société, l’autre par l’attentat du 13 novembre. Les premiers liens se font grâce à l’art – la nuit, le jeune homme vient regarder et parfois corriger la peinture-. Elle lui offre un oranger qu’il accepte, puis très vite les mails précèdent la rencontre de ces deux grands brûlés de la vie.

L’auteure met l’accent sur un phénomène peu connu en France mais très répandu au Japon, celui des Hikikomoris, ces hommes en grande majorité, souvent jeunes mais pas toujours qui décident de se soustraire de la compétition sociale. De ce problème de santé publique qui commence à essaimer en occident, elle tire une fable humaniste et poétique.
S’intéressant aux êtres à la marge du monde, elle interroge une fois de plus le lecteur sur ce que signifie disparaître tout en étant encore en vie. 
Comme dans Le roman de Molly N., l’histoire réelle d’une caricaturiste américaine, contrainte de tout quitter après avoir publié une caricature du prophète, Sophie Carquain livre avec Juste à côté de moi un texte à la fois original et bienveillant.

Brigit Bontour

Sophie Carquain, Juste à côté de moi, Éditions Charleston, janvier 2022, 221 p.-,  19 €

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