"Une Matinée d'Amour Pur" et autres nouvelles de Yukio Mishima

À l'exception de la nouvelle titre, les sept pièces qui composent ce recueil sont des œuvres de jeunesse. Sept portraits où le thème de la passion amoureuse est décliné sur un mode à la fois romantique et cruel.
Ici, l'innocence et la perversion s’entremêlent, l’air de rien, avec cette grâce propre à l’écriture de Mishima où cette invariable quête de la pureté donne à l’ensemble un arrière-goût de fatalité.

« Certes, j’étais rentré sans avoir appris la natation, mais j’avais en revanche, appris une vérité qu’on ne peut transmettre aux autres, vérité que, bien des années plus tard, je devais poursuivre dans mes errances, vérité pour laquelle j’étais prêt à donner ma vie. »

L’ouverture et le final du recueil sont particulièrement emblématiques. D’un côté, cet enfant qui s’égare dans un paysage aussi fabuleux qu'inquiétant. La rencontre d’un couple irréel avec lequel il entame une partie de cache-cache incongrue sur un promontoire ; le vertige et l’effroi qui s’empare de lui à mesure que le temps passe dans ce décor sauvage, onirique, où l'on pensera à ce carton cher à Breton tiré du Nosferatu de Murnau : « De l’autre côté du pont les fantômes vinrent à sa rencontre ». Le héros y aura laissé son enfance, volatilisée dans un cri étouffé.
De l’autre, un fait divers, décrit avec la froideur de la maturité, où le cynisme sert l’idéal à travers une expérience prodigieusement égoïste.

Entre l’éveil par procuration du jeune garçon à la sensualité et les stratagèmes qu’un vieux couple met au point pour que leur amour s’inscrive dans l’éternité du premier jour, vingt ans ont passé. Pourtant, les correspondances entre les nouvelles mettent en valeur cette même aspiration au Vrai et au Beau, intrinsèquement liée à la notion de sacrifice ; la mort en tant que composante essentielle de l’amour et non pas seulement sacre ou accomplissement.

Les autres nouvelles marquées par une frustration quasi-maladive, évoquent surtout le scandale et la résignation. Les errances de jeunes hommes, oisifs et androgynes, dans le Japon humilié de l’après-guerre, mutilés par des figures féminines dominantes.
Beaucoup d’ombre finalement et un goût amer ; un combat contre l’étiolement qui se solde presque à chaque fois par une déception ou un manque.
On ne pourra se détacher du seppuku spectaculaire par lequel l’auteur a mis fin à ses jours, il y a trente-six ans, en lisant ces lignes si cohérentes avec ce que Mishima fit de sa vie : une œuvre d’art.

Une Matinée d'Amour Pur
est un recueil sombre où l’expérience amoureuse ne semble s’embraser que dans l’éclat froid de l’acier ou pourrir dans un cynisme douloureux.

Arnault Destal


Yukio Mishima, Une Matinée d'Amour Pur, Gallimard "Folio", décembre 2005, 293 pages, 7 euros


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