Murielle Compère-Demarcy et Khaled Youssef : voyages, voyages

Ce n'est pas seulement par les bijoux des paysages évoqués que la lectrice ou le lecteur est emporté et ravi. L'amour est encore plus fort. Le transport d'un pays à l'autre devient d'abord est avant tout amoureux.

D'autant qu'ici deux voies se mêlent plus qu'elles se répondent : si bien que si l'ailleurs est proche, "je" et son autre ne font qu'un par delà les épreuves et les blessures. La décharge des cœurs est à chaque page en une sensualité qui n'ignore rien des corps dans ce ce qui tient d'un jeu de "reponse".

Rien n'a lieu que les lieux, mais le plus probant reste celui de l'amour. Il permet de retrouver la force d'écrire anéantie par tant d'actualités qui plombent. Elle fait revenir à soi en des temps qui ironisent ou plutôt  dramatisent toute idée de grand soir.

L'ivresse des voyages déverrouillent l'horizon. Elle fait repenser le réel, réinterroge qui nous sommes là où dans la grande respiration du verbe / le Grand Voyage-Tournesol devient quasi cosmique. En particulier dans l'écriture de Murielle Compère-Demarcy. Elle est ici d'une richesse sensorielle irradiante. Tout brûle même les langues qui se répondent et se fondent.
Si bien que certains enfers politiques deviennent des lieux édéniques par le transfert amoureux d'une force diluvienne. Il faut donc savoir écouter le "chant" visuel et poétique  qui à l'impossible reste tenu.

Il y a longtemps que nous aurions dû implorer l'aide et par anticipation promettre des ex-voto à celle qui ici nous tire d'affaire même en tant que lecteur lambda. De fait nous appelons implicitement son partage car sa poétique nous emporte.
Le livre rappelle que tout création passe par ce qui reste innommable dans le monde comme dans l'être. Amoureux ce dernier oublie les ratages du vivant. Dès lors, sur les pas d'Adonis, de Conrad, de Rimbaud, de Kessel et de bien d'autres, recommence une recension inédite de ce qui nous fait au delà des violences du monde et du Corona Virus.

Reste dans ce miroir que nous tend les deux auteurs une conjuration des sorts. Ils sauvent l'humaine engeance et permettent d'entrouvrir – lorsque le livre se lit en un tel moment de l'histoire de l'humanité – une porte sur notre bail à perpétuité de plus en plus provisoire.

Le langage sensuel réinventé et les visions d'errance offertes bon gré mal gré replacent entre rêve et sortilège au moment où la vie remue et que, du haut qui penche,  la fantasmagorie n'est plus un pur fantasme mais une affolante vérité. Un seul espoir demeure : que la poétesse soit de la race des Edwarda du futur. Et que nous fassions partie d'elle.
Un tel livre troue l’éternité, montre un chemin, laisse percer des voix. On voulut la retirer aux deux auteurs : ils la tirent et la partagent en une fabrique des image à mots découverts afin que nous puissions les rejoindre au moment où ils montrent leurs cartes. Ici elles ne sont plus de stratégies guerrières mais du Tendre.


Jean-Paul Gavard-Perret

 

Murielle Compère-Demarcy et Khaled Youssef, Voyage Grand Tournesol, avec la participation de Basia Miller, préface de Chiara De Luca, Z4 éditions, décembre 2020, 262 p.-, 18 euros

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