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Ces forêts qui cachent les arbres

Enraciné dans nos souvenirs comme implanté dans nos regards, l’arbre, depuis toujours et premier au sein de la création, est le compagnon fidèle de l’homme. On l’aime pour son silence qui s’entend quand souffle le vent dans ses branchages, pour ses formes et ses couleurs innombrables qui défient les plus folles fantaisies, pour la paix offerte sous son ombrage, pour la générosité de son essence même, c’est-à-dire quand son bois construit, quand ses feuilles protègent, quand sa respiration purifie l’air. Pourtant l’homme est également depuis toujours son ennemi, dès lors qu’il est son exploiteur irréfléchi. Selon des chiffres fiables, en quelques décennies, nous avons perdu environ 4 milliards d’hectares de forêts sur les 8 qui étaient à notre disposition il y a encore un siècle. On peut craindre que près de 2 milliards d’hectares vont disparaître dans les années à venir, en raison de la demande croissante de la planète. Une perte vitale, car qui ignore que la forêt est notamment un puissant facteur d’absorption de CO2. L’arbre, insiste l’auteur, ne peut pas être « le fusible de nos appétits ».

 

Cette symbiose parfaite homme-arbre, menacée, reste cependant possible. L’accroître est plus que souhaitable, nécessaire. A une autre échelle, non plus celle des grandes forêts et des massifs préservés, mais de ces petits bosquets qui parsèment les campagnes, de ces haies vivantes longtemps détruites suite aux erreurs aux conséquences néfastes, de ces rangées d’arbres qui bordent les routes, de ces « arbres champêtres » qui équilibrent les prairies, de ces lignes vertes qui délimitent les riants bocages, de ces plantations au-hasard des vergers, des platanes sur les places des villages, il faut la rétablir. 


« Derrière le plus anodin arbuste de campagne, derrière la plus modeste plantule qui commence sa vie d’arbre, se cache tout un pan d’une histoire prodigieuse » écrit l’auteur, qui est géographe et se passionne pour l’aventure de la nature et  replace l’arbre dans son contexte. Qu’il soit arbre natif ou arbre « exotique » qui s’acclimate, l’un comme l’autre est adapté ou s’adapte à l’environnement local. Un des exemples de cette acclimatation réussie est donné par l’arbre fruitier, résultat d’une vraie culture, « au sens culturel et cultural du terme ». Chaque territoire possède ainsi un patrimoine qui demande à être valorisé.

 

Face aux dangers répertoriés, devant la poursuite à tous prix des rendements, une autre approche, engagée dans la protection du climat, soucieuse d’avenir, désireuse de solutions novatrices, s’impose. En associant animaux, cultures et arbres, l’agroforesterie met en œuvre de nouvelles pratiques. Cette collaboration induit une diversification dans les méthodes, les espèces, les usages des matières premières. « Chaque arbre cultivé devient à lui seul une forêt » ! On pense ici, en l’inversant, au proverbe japonais qui veut qu’ « on entend l’arbre qui tombe, jamais la forêt qui pousse ». L’arbre devient un partenaire essentiel de l’agriculture, celle-ci désormais prend en compte l’arbre, cette « pérennité fragile ».   

 

L’agroforesterie trouve ainsi toute sa justification économique et environnementale. Elle devient même une  manière d’agro-écologie. « Cette idée toute simple, qui tient du bon sens paysan, vise à tirer le meilleur profit de la complémentarité des besoins des arbres et des cultures, à condition bien sûr que les uns et les autres soient parfaitement adaptés au terroir ».

 

Technique mais tout à fait compréhensible par le non-initié, cet ouvrage apporte un grand plaisir de lecture. Grâce aux explications claires complétées par de petits textes en annexes visuellement attrayants étant écrits en vert, le lecteur apprend et découvre des mots, des données et des notions souvent ignorés qui ouvrent des perspectives sur le pourquoi des actions entreprises. Par exemple, « en-dessous de 4 ha, il s’agit de petits boisements, qui loin d’être inutiles, outre cette fonction esthétique si présente dans nos régions, participent à la production de la biomasse et de bois ». Autre information, concernant les feuillus, plus évolués que les conifères mais moins anciens. Ou encore la mise en œuvre du cycle P.U.R. (produire, utiliser, recycler). 


Voici l’olivier généreux de son « soleil liquide », le noyer prodigue de son « huile de lampiste », le chêne dans sa « plantade ». Le département du Gers, bénéficiant des savoirs d’une équipe motivée et entreprenante, attentive à la meilleure gestion possible des ressources, est un territoire précurseur. La réussite des expériences de terrain d’ici autorise les transferts de savoir ailleurs. Des tropiques à la Méditerranée, de l’Afrique à l’Océanie, de « l’arbre à miracle » à « l’arbre à palabre », ces pages invitent à un long et lent voyage dont le guide est ce symbole de vie et cette mémoire qu’est l’arbre. On comprend combien l’arbre, l’avenir de l’homme qui le respecte et l’inscrit dans son espace, est « un message dans le paysage ».

 

Dominique Vergnon

 

Bruno Sirven, avec la collaboration d’Alain Canet, Le génie de l’arbre, Actes Sud, 432 pages, 350 illustrations, 19,6x25,5 cm, septembre 2016, 42 euros. 

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