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Le prix "Max Jacob étranger" attribué à Jan Wagner

Un prix littéraire possède aussi un rôle incitatif, un rôle de communicant : il permet un retour sous les projecteurs d’un livre – et d’un auteur – passés entre les fourches caudines de la critique, trop souvent étouffée par la masse des publications de rentrée. Ainsi Jan Wagner a-t-il été oublié par certains, dont votre serviteur, et grâce au prix Max Jacob, voilà cet impair corrigé.

Car Jan Wagner, malgré son jeune âge, est un immense poète outre-Rhin, et son œuvre compte beaucoup pour les germanophones. Or, la traduction est un enjeu considérable, ici plus qu’ailleurs, car la poésie est fille de l’image et du son, cette oralité qui permet au mot de venir souffler une autre signification que celle, primaire, de sa racine ; et le jeu poétique consiste alors à chanter une ballade qui n’est pas celle que l’on croirait, une phrase qui ne dit pas seulement ce qu’elle narre mais qui ouvre d’autres champs, œuvrant à unir l’idée d’une image associée à un son pour produire une pensée, une sensation, un ressenti qui emporte le lecteur hors-sol…
Les deux traducteurs se sont d’ailleurs amusés à traduire le premier poème, chacun selon sa sensibilité, son bagage culturel, et la différence entre les deux versions est assez marquante.

D’autant que traduire Jan Wagner n’est pas une sinécure étant donné qu’il s’adonne à transposer des objets du quotidien dans son univers onirique ; ainsi le voilà qui s’épanche sur une serviette, du savon, une balle de tennis… Cependant, cette poésie n’est pas célébration d’un naturel consensuel, au contraire, c’est une tentative de saisir la manière dont le je va pouvoir se manifester dans le prolongement de sa mémoire personnelle à la rencontre d’objets du quotidien.
Voilà donc des poèmes qui se veulent une réflexion sur la littérature, une mise en abyme de l’auteur qui n’est autre qu’un globe-trotteur qui cueille la bonne image dans cette immense bibliothèque qu’est le monde… Le cosmos devient alors un miroir de l’intelligence poétique.

Il en sera de cette poésie, des tableaux de Canaletto à Lazare ressuscité, des cimetières de Sarajevo au pied de saint Benoît, d’un vent de Nouvelle-Zélande à une boulangerie car de chaque énigme découle un sens qu’il convient de signaler au lecteur : la citerne au fond du jardin est un baril de Styx, et à la fin le poète se dessine en homme-ruche, immobile statue bardée d’une toison d’abeilles…
Jan Wagner est unanimement considéré comme le poète le plus doué, le plus inspiré et le plus original de sa génération ; les prix viennent donc en toute logique consacrer cet auteur : prix Büchner, prix Nelly-Sachs et maintenant le Max Jacob… Poète hors cadre, chez qui l’érudition le dispute à la créativité, ponctué d’une curiosité illimité, Jan Wagner s’inscrit dans la droite ligne des pairs des poèmes de l’objet. On pensera d’emblée à Francis Ponge ou à Rilke, avec un supplément d’âme, une approche mystique qui rappelle Tomas Tranströmer ou encore Yves Bonnefoy.

 

essai sur les serviettes

froides grues origamiques, ou
fières comme des quatre-mâts,
elles croisent sur les tables,

plein nord, toujours plein nord…
assez tôt un dernier rayon
tombé par la fenêtre empourpre

leur blanc d’une tache de sauce,
froissées en marge de l’assiette,
sans rien qu’un papillon de rouge

[…]


Lisez Jan Wagner et vous ne regarderez plus l’environnement proche du même œil, vous les magnifierez comme le poète l’a fait, avec cette précision d’orfèvre et son intelligence des images dont la profondeur n’est jamais dénuée d’humour ni de légèreté.

François Xavier

Jan Wagner, Les Variations de la citerne, traduit de l’allemand et présenté par Julien Lapeyre de Cabanes & Alexandre Pateau, Actes Sud, octobre 2019, 128 p. – 16 €

Lundi 23 mars 2020, la remise du prix Max Jacob étranger, en présence de Jan wagner, aura lieu au CNL, à 18h30.

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