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Être ou paraître… être un humain

Vérité et quête de sens, deux mamelles qui pimentent à l’infini l’Homme doté d’un cerveau et qui ne sombre pas tous les soirs dans la léthargie du match de foot à la télévision avec un pack de bières et des chips au paprika – heureux les simples d’esprit, le royaume des Cieux leur appartient, disent les Evangiles – mais pour les autres, on en arrive donc à s’arracher les cheveux à chercher tout le temps une réponse, une direction vers où nous tourner dans cette existence dénuée de tout intérêt… vampirisée par le monde digital et les selfies. Ainsi il en va de l’humanité qui cesse de réfléchir pour adopter tous les poncifs et se laisse manipuler.
Au point, selon Jaroslav Melnik, de se retrouver en 3896 sous l’emprise d’un IVe Reich contrôlant le monde entier, totalement pacifié, soumis et endormi, vivotant dans une société agraire dénuée de violence, de police et d’interdits, tout le monde se laissant vivre dans ses fermes d’élevage de… stors, ces animaux aux étranges aspects humains, qui vivent nus dans des enclos, et font les quatre-cinquièmes du travail. Quand ils désobéissent ou ne servent plus, on les conduit aux abattoirs – ou on le fait soi-même – et on les déguste au court-bouillon, sous forme de saucisses ou que sais-je encore. Ce ne sont que des animaux, après tout.

Or, Dima, journaliste à La Voix du Reich pour occuper son oisiveté, spécialiste des abattoirs, perçoit un jour un étrange cri, ressent un trouble, lit dans le regard des condamnés une étincelle qui pourrait être… humaine. Sans parler du trouble qui l’habite quand il croise la jeune et belle Macha et qu’il la lave avant de la conduire à la saillie. Pourtant ce n’est qu’un animal, même si, par bien des aspects, elle a tout d’une… femme !
Surgit alors une secte qui développe une théorie, comme quoi, dans le passé, les nazis auraient scindé la race en deux, créant ces stors qui ne sont, en définitive, que des humains attardés. Dima se met à réfléchir et la belle machine du Reich à se gripper.

Habillement construit, magnifiquement présenté avec une maquette gothique qui imprègne l’objet d’une aura glaçante, ce roman d’anticipation verse parfois dans le gore sans jamais détourner le lecteur du but initial ; la traversée sera longue et périlleuse, le retour aux sources un rappel initiateur aux valeurs qui font l’humanité, et la qualité d’écriture inscrira dans l’inconscient cette possibilité si totalement extraordinaire que l’on ne peut s’empêcher d’y croire – l’Homme nous a déjà habitué à tellement de saloperies… Au-delà du roman noir et du message philosophique, cette épopée hors du temps – mais pas si éloignée dès lors que l’on se rapproche du dénouement – est une méditation sur l’idée que l’on se fait de la vie, de ce que l’on veut – ou doit – en faire, et des décisions courageuses à prendre aux nombreux carrefours de notre existence.
Une leçon de modestie.

 

François Xavier

 

Jaroslav Melnik, Macha ou le IVe Reich, traduit du russe par Michèle Kahn, Actes Sud, collection Exofictions, juillet 2020, 288 p. -, 22 €

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