Antoine Blondin, chevalier servant de la petite reine

Avaient-ils conscience, les lecteurs de l’Equipe, du cadeau quotidien qu’ils recevaient  durant le Tour de France ? Tous les matins, ils pouvaient, dans leur journal, lire le compte rendu de l’étape de la veille. Ecrit avec une virtuosité, un panache, un humour qui font de chacune de ces chroniques un petit chef-d’œuvre. Et ce, des années durant, de 1955 à 1982. Soit vingt-sept Grandes Boucles intégralement « couvertes », en cinq cent vingt-quatre articles, par Antoine Blondin.

 

Voilà qui méritait, six décennies après le début de ce qui ressemble fort à une épopée, un coup de chapeau. C’est l’avis de Jacques Augendre, Jean Cormier et Symbad de Lassus. Ils ont rassemblé, en un volume richement illustré, les  témoignages de ceux qui ont côtoyé de près, au gré des étapes, le passager de la fameuse voiture 101. Chacun des trois a, pour célébrer celui qui fut le Barde du Tour, une bonne raison. Le premier, ancien journaliste sportif, doyen des spécialistes du cyclisme, a participé à vingt-sept Tours à ses côtés.  Jean Cormier est, pour sa part, un des proches  de Blondin depuis le début des années 60 et le complice des dernières années de sa vie. Quant à Symbad de Lassus, encore plus étroits les liens qui l’unissent à l’auteur d’Un singe en hiver : ce dernier n’est autre que son grand-père dont il entreprend de retrouver les traces.

 

A cet hymne à l’amitié, participent en outre des patrons de la Grande Boucle, Jacques Goddet, Jean-Marie Lebmanc, Christian Prudhomme. Des journalistes comme Denis Lalanne et Jean-Paul Ollivier. Sans oublier la contribution de champions aussi populaires que Raphaël Géminiani, Raymond Poulidor et Bernard Hinault. Autant de témoignages, d’anecdotes, de souvenirs composant une guirlande colorée. Autant de pièces d’un puzzle pour reconstituer le portrait d’un homme à qui l’épreuve reine du cyclisme doit une bonne partie de son lustre, tant il est vrai que le reportage sportif se trouve chez lui hissé au niveau de la littérature. 

 

Tous les témoignages convergent pour mettre l’accent sur la qualité de l’homme. Sur son sens de l’amitié. Une valeur qu’il plaçait au-dessus de toutes les autres et qu’il manifestait à sa manière, sans effusions. Le Tour lui était un terrain d’élection pour exercer cette fraternité virile – autant que le Bar Bac du 7e arrondissement était nécessaire à Monsieur Jadis.  Sur son sens de la répartie et sur le sel attique dont il assaisonnait ses propos, jouant volontiers sur les mots comme sur le bégaiement  qui faisait de lui un homme de plume plus qu’un orateur.

 

On trouve aussi reproduites, dans cet ouvrage vibrant et chaleureux,  quelques-unes des meilleures chroniques de Blondin. De véritables feux d’artifice où fusent calembours, formules brillantes et à-peu-près. Avec cela,  l’art du portrait et celui de faire vivre, en quelques phrases, ces géants de la route, acteurs admirables d’une épreuve à nulle autre pareille. On y entend La voix unique de l’écrivain, celui qui, parmi les Hussards, manifestait peut-être le goût le plus affirmé pour le langage, la saveur des mots  et les jeux qu’ils autorisent. Et, dissimulée sous la gouaille sa sensibilité pudique.

 

En filigrane, se dessine la légende d’un Tour de France que les scandales n’avaient pas encore terni. Une occasion, pour les témoins, d’évoquer ses grandes figures, les Coppi, Bobet, Anquetil, tous les acteurs qui contribuèrent à faire sa renommée. Ceux dont les exploits nourrissaient, chaque été, la ferveur populaire et l’inspiration d’un des écrivains les plus attachants du vingtième siècle.

 

Jacques Aboucaya

 

Jacques Augendre, Jean Cormier, Symbad de Lassus, Antoine Blondin. La légende du Tour, Le Rocher, juin 2015, 238 p., 19,50 €

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