Le quilt, une expression d’art populaire américain

D’origine orientale, asiatique, indienne ou égyptienne, en tous cas très ancienne, l’utilisation de fragments de tissus de couleurs variées et de matières diverses a progressivement gagné l’Europe de l’ouest, peut-être grâce aux croisades, et s’est développée essentiellement en Angleterre où elle a acquis une dimension de plus en plus esthétique sans perdre pour autant son caractère pratique. Son nom le plus souvent retenu est patchwork. Le matelassage médiéval, unissant décoration et protection, a été courant dans la société occidentale. Longtemps les courtepointes rembourrées ont réchauffé et agrémenté les lits de nos aïeux. Les couettes actuelles et les duvets modernes en relancent la mode. Les couches sont cousues afin de tenir ensemble et forment ce « sandwich textile », selon les mots imagés et commodes pour en comprendre la structure de Shiela Betterton, qui fut une spécialiste du sujet. Le quilting dès lors va à la fois gagner en beauté et en utilité, notamment aux Etats-Unis. Héritant des traditions britanniques, tout au long du XIXème siècle, les familles américaines s’organisent en Quilting Bees, sorte de cercles de couture, à la fois lieu de rencontres, de conversation, de production autour des métiers à tisser parfois installés dans des granges. Transmise de mères en filles, l’habileté de ces femmes à mélanger les couleurs, les formes, les matières a donné lieu à cet art typique, passé du rustique à l’aristocratique. Le patchwork devenait davantage qu’un rudimentaire recyclage de morceaux d’étoffe disparates, une manière de vivre élégante, patriotique, folklorique.

 

La création en 1961 par deux passionnés des arts décoratifs américains de l’American Museum in Britain, situé dans le manoir de Claverton à Bath, soucieux de valoriser ce patrimoine et de resserrer les liens entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, permet de mesurer l’étonnante richesse inventive du quilting, reflet du savoir-faire et des goûts américains héritiers de coutumes importées et adaptées à leur contexte. Qu’elle soit populaire ou désormais plus conceptuelle et le fait  d’artistes confirmés, cette expression témoigne d’un moment fondateur de l’histoire sociale de cette nation.


Dû aux infinies possibilités d’assemblage qu’il suppose, le répertoire du patchwork est immense. Les anciens quilts comme L’Etoile de Bethléem (1835) provenant du nord-est, La Couronne de fleurs, La Princesse Plume, en reprenant les motifs mais en multipliant les mises en place, démontrent combien l’apparente simplicité cache une virtuosité de fabrication incroyable. L’emploi de techniques poussées de couture, les affinités de tons, la qualité des tissus aboutissent à la confection de véritables œuvres d’art, aussi renouvelées dans la fantaisie que constantes dans l’harmonie. Offrant des contrastes marqués, Les Harpons de la mort (1860-1900), à la symbolique noire et blanche, très suggestive, est à mettre en regard du quilt appelé L’orange pelée de Lafayette, présentant également une astucieuse transposition  visuelle d’une anecdote historique. Les blocks ajustés à la perfection composent en dépit de la répétition calculée une image d’une grande liberté. Diamants, hexagones, feuilles, losanges, paniers, vases et cornes d’abondance, les formules abondent et sont toutes séduisantes. Elles racontent une à une cette conquête non seulement géographique mais aussi artistique d’un besoin de confort, peu à peu évoluant vers une expression politique, religieuse, économique.


A travers les 25 patchworks présentés, c’est la réalité américaine qui s’expose, depuis le couvre-lit entrant dans le trousseau de la mariée jusqu’à l’emblématique signe de la cabane en rondins. Soie, laine, surpiquage, broderies faites par des mains expertes, les éléments qui entrent dans ce labeur soigné sont nombreux. Des communautés Amish aux éventails hawaïens de la reine Kapi’olani (1834-1899), cet ouvrage qui accompagne la brillante exposition du Mona Bismarck American Center for art and culture, constitue un document particulièrement intéressant pour aborder cet art méconnu ou sous-estimé. Pour chaque quilt, un texte a été rédigé qui en donne les caractéristiques essentielles. Il y a là un lien évident entre ce que l’on a appelé le melting-pot constitutif de ce vaste pays et ce travail patient de combinaison des pièces, reliées comme autant de petits territoires qui s’emboitent, double traduction d’une fédération de valeurs.

 

Dominique Vergnon

 

Laura Beresford, Géraldine Chouard, Quilt Art, l’art du patchwork, 64 pages, 20x25 cm, nombreuses illustrations, Mona Bismarck American Center for art & culture, 15 euros.           

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