Des chevalets entre Sambre et Meuse

De Namur, au confluent de la Sambre et de la Meuse, on connaît la citadelle, imposante construction qui domine le panorama et fut le témoin des flux et reflux d’une longue histoire. Pour ceux qui ont eu la curiosité de s’arrêter un jour ou deux dans cette ville belge, sans doute sont connues aussi la cathédrale Saint-Aubain, la vieille cité, quelques places, des maisons élégantes, peut-être ces coins inattendus où les charmes du passé se conjuguent avec ceux du présent. Ces sites emblématiques de Namur sont assez attractifs pour que les artistes aient trouvé en eux des sujets privilégiés. D’autres lieux plus ignorés, populaires ou bourgeois, des rues, des marchés, des ponts, ont également séduit les peintres comme les touristes au point d’inviter les premiers à planter devant leur chevalet et les seconds à les photographier. Pour les uns, l’idée est de saisir dans le passage des heures les variations souvent infimes de la lumière sur une façade, sur une fontaine, sur l’eau, sur la végétation et d’en reporter avec les pinceaux, le crayon, l’huile ou l’aquarelle, les ombres nées, les frémissements, la variété des couleurs, l’animation, les volumes modifiés au fil des heures, le silence, les détails. Pour les autres, le plaisir est de fixer par le biais de l’objectif des instantanés évocateurs, de garder des souvenirs qui avec le recul, prendront également dans des albums une valeur sentimentale accrue. La toile n’est pas la pellicule, le papier n’est pas le film !

 

 

Ce livre est ainsi au confluent des deux démarches, à la jonction de ce que l’œil perçoit et de ce que la mémoire engrange. Les villes évoluent, leurs visages se renouvellent sans cesse, il est banal de le redire. La confrontation peinture-photographie est intéressante en cela que face à un même point de vue, se positionnant selon un angle analogue, cherchant des perspectives voisines, les rendus des uns et des autres sont à la fois similaires et opposés. Ils se complètent voire se poursuivent. Ainsi pour prendre un exemple parmi d’autres, le peintre Théodore Duruisseau (1921-2007) dresse le clocher de l’église Saint-Jean Baptiste dans un ciel serein, bleuté, renforce les frondaisons, souligne l’animation du marché, exagère à peine pour que l’émotion se ressente naturellement. Moins personnelle, plus rigoureuse, la photo quant à elle restitue sans faille cette impression de puissance et de sveltesse, capte la verdure qui s’étend à gauche, surprend les gens affairés. Pourtant, elle offre aussi sa part de poésie. Tout est semblable, rien n’est exactement pareil.

 

 

Les approches des uns et des autres convergent, tirent de la réalité des images filtrées par la sensibilité. Les artistes idéalisent quelque peu, en ajoutant des touches parfois fantaisistes. Les photographes peuvent aussi intervenir, mais dans des limites plus étroites et selon les techniques disponibles. Les années de toutes les façons ont cheminé, rayant souvent, ou pire encore, effaçant du paysage les repères de jadis. Rapprocher le tableau signé Alphonse Crépin (1931-2010) représentant Le Quai des Joghiers de la photo est un petit exercice amusant : même rive, allongement des pierres identique, arbres en bordure des toits. Mais le jeu des différences s’invite d’office ici comme ailleurs.  

 

 

Un des peintres qui ont le plus œuvré à Namur et ont stabilisé la diversité de ses visages est Albert Dandoy (1885-1977). Sa palette est ample, s’adapte à chaque endroit, restitue et les équilibres architecturaux et les harmonies de tons. Une porte, un pont qui enjambe la rivière, des joutes nautiques, il cadre avec talent ce qu’il voit, rend compte en observateur, fait passer son affection envers sa ville par des détails délicats. Son père, Auguste, était lui-même peintre. Son tableau exécuté en 1863, représentant Notre-Dame du Rempart, est à comparer avec la photo de ce même édifice. Des maisons ont disparu, un bâtiment moderne les remplace, en altérant les abords de cette chapelle datant de 1867. Félicien Rops, bien connu pour son aptitude à caricaturer, fameux pour certains tableaux qui provoquèrent la critique, peignant comme il disait avec ses nerfs et ses yeux, entre lui-aussi dans ce groupe des artistes namurois qui ont aimé ces emplacements charmants. Il tend une jolie vue de la Meuse, dans sa courbe aux pieds du Rocher des Grands Malades (1876).

 

 

Ces mises en regard du passé vu par des peintres dont beaucoup héritèrent cette touche libre et aérée des Impressionnistes et d’un présent obéissant à d’autres impératifs, sont intéressantes dans la mesure où elles permettent d’évaluer la stabilité et la mutation du patrimoine. Trente peintres liés de près ou de loin à Namur racontent leurs affections et ces coups de butoir de la modernité auquel le passant ne prête guère attention. En observant le spectacle urbain et humain au quotidien et en le traduisant sur la toile, ces peintres deviennent des témoins favorisés. L’auteur est le photographe qui sert de guide. Il mesure les écarts que le temps génère, il rappelle les faits anciens, il constate l’actualité. Lui procurant pour compagnon Ferdinand Marinus, Yvonne Perin, André Dohet, Eugène Colignon, Henry Bodart, il propose à son lecteur cinq « Promenades au cœur de la ville » et le met au confluent, ce mot garde à nouveau sa valeur, de sa géographie et de son histoire, de l’art et du voyage.

 

Dominique Vergnon

 

 

Fabien De Roose, Namur vue par les peintres, Editions Racine, 152 pages, 16x23cm, septembre 2013, nombreuses illustrations, 24,95 euros

 

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