Fables au Soleil Levant

Une cigogne sous un pin, un renard près d’un torii, un oiseau blessé par la flèche d’un homme les cheveux serrés en chignon, un singe porté par la vague d’Hokusai, d’autres animaux avec en arrière plan le mont Fuji, des huttes de paille, une pagode discutent et s’adressent à nous à travers leurs semblables. Ces décors insolites entourent les gestes et les aventures de nos amis des fables de notre enfance ! Quelle surprise ! Quelques illustrateurs japonais et non des moindres se sont emparés de La Fontaine.

 

Ils apportent un second regard aux charmants dessins de Benjamin Rabier qui s’attacha à rendre vivants les récits célèbres du conteur par une personnification de leurs héros. Ces maîtres de l’estampe que sont Kajita Hanko (1870-1919), Kano Tomonobou (1843-1912) ou encore Kawa-nabé Kiyo-soui  revisitent les textes avec le savoir qui est le leur, c'est-à-dire l’héritage esthétique de la tradition nippone, cette légèreté des couleurs, la suggestion des formes, la hiérarchie des plans, la délicatesse mêlée à l’énergie, l’économie des moyens afin d’accroître la portée des images. En bas des feuilles, marque rouge bien connue, le Hanko, le sceau propre à l’artiste authentifie cette union entre des façons pour ainsi dire opposées d’exprimer la réalité.  

 

Chaque illustration offre aux poèmes du Bonhomme une nouvelle dimension, extrême-orientale bien sûr, insoupçonnée selon les critères occidentaux, inédite et comme étrangère à ces figurations si habituelles dans lesquelles grenouille, bœuf, corbeau, rat, loup et lièvre de nos contrées se meuvent, discutent, combattent, tiennent conseil, se parent et se marrent. Toutes ces scènes ont quelque chose de neuf, touchant, puissant, pétillant. Les deux cultures se rencontrent pour le meilleur, et à ce jeu des croisements, La Fontaine n’y perd pas. Il y gagne même un surcroit d’intelligence et de finesse dans la lecture de ses histoires qui deviennent encore plus universelles. On les comprend autrement, on en saisit la moralité sous un autre angle. Le transfert fonctionne, c'est-à-dire que les raffinements exotiques des kuni intègre les amabilités champêtres de nos provinces. On peut facilement imaginer les enfants de l’empire du Soleil Levant en train d’apprendre des leçons de sagesse en regardant comment un geai et un paon rivalisent, un renard essaie d’attraper des raisins trop verts, un roseau plie devant un chêne qui se déracine, une cigale crie famine devant la porte close de sa voisine la fourmi alors que la bise est venue. Les hirondelles, les taureaux,  la colombe, l’aigle semblent sortir tout droit d’un paysage tel qu’on le voit dans une estampe d’Hiroshige ou d’Utamaro. Tout est instant, éphémère et véridique. C’est une manière d’ukiyo-e pour insectes, oiseaux, poissons et autres gentilles bêtes.

 

Rappelons qu’« à partir des années 1870, commencent ainsi à être publiés au Japon de nombreux ouvrages à l’intention d’une clientèle occidentale sur place. Mais ils sont surtout destinés à l’exportation : ces livres illustrés d’estampes japonaises suscitent dès lors l’engouement des collectionneurs et amateurs d’art tant européens qu’américains. Des livres de contes populaires japonais traduits pour l’occasion arrivent alors en Occident, mais sont également exportés des ouvrages classiques de la littérature occidentale imprimés et décorés au Japon ».

 

En introduction de ce beau volume, le lecteur aura le bonheur de lire, relire, relire encore, ce qu’a écrit en 1889 Barbey d’Aurevilly, dans Les Œuvres et les Hommes, sur La Fontaine. Quelle langue, quel style, quelle galanterie de pensées serties par le brillant des mots. Un régal, un festin, comme ceux que la gens animalière s’octroie dans les fables. 

Dominique Vergnon

 

Jean de La Fontaine, Fables choisies, illustrées par les maîtres de l’estampe japonaise, 128 pages, 24x32 cm, octobre 2013, Les Editions de l’Amateur, 33 euros.

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