Une Bretagne vue autrement

« Ma Bretagne est d'Armor, le pays dans la mer. Elle est d'Armor, elle est d'Argoat - mer et forêts - arrimée par l'ouest à ses destinées atlantiques et par l'est à la pointe aiguë du socle européen. ». Les mots de Yann Queffelec qui figurent dans son Dictionnaire amoureux sont célèbres, on les redit en soi quand on pense à la Bretagne comme on fredonne un air connu quand on part en voyage. Il dit aussi que sa Bretagne, « pays de marins…pays des siens, pays des lumières et des peintres…pays des souvenirs…fut un royaume». Ce dernier mot prend ici un sens nouveau, aux dimensions multiples. D’autres Bretons l’ont aussi fait leur, éprouvant envers ce promontoire de granite éternel jeté comme un cap hardi à la conquête de l’océan, une affection jamais démentie, renouvelée, qui s’attache aussi bien à son histoire qu’à son folklore, à ses légendes qu’à son avenir, à ses collines de l’intérieur qu’à ces îles ancrées comme des sentinelles au large. Ce que Françoise Surcouf appelle les symboles, qui sont à la fois signes et images, repères et témoignages. Elle fait visiter à son tour son royaume !

 

Elle-même Bretonne, descendante de Bretons, liée à la province par tant de fibres avouées ou  cachées, elle propose un ouvrage tout autant rempli de ferveur, à la fois récit, hommage, promenade, guide. Elle donne un abondant trousseau de clés pour ouvrir les portes de la culture, du mystère, de la beauté, des secrets de cette Bretagne que chacun croît connaître, ce qui est souvent le cas, mais à qui il manque cette approche affinée, ajustée, déclinée selon les entrées possibles dans son patrimoine. En 100 symboles, qui sont autant de chapitres, ce livre permet de relier la Duchesse Anne à Gilles de Rais, Renan à Pierre Jakez Hélias, l’artichaut au Kouign Amann, Joseph Pinchon créant sa turbulente Bécassine à Gauguin peignant ses petites bretonnes, ou encore les instruments électroniques de Plomeur-Bodou aux centres de soin d’Yves Rocher à La Gacilly.


Aborder ainsi une contrée aussi vaste et diverse que la Bretagne serait un pari risqué pour un auteur qui ne serait pas définitivement « du pays », comme peuvent l’être en tant que représentants authentiques d’une terre, le vin ou tout autre produit né du sol ancestral.

 

A la lecture de ces pages qui offrent en regard des textes, des images choisies pour en résumer la portée, les valoriser, expliquer ou prolonger leurs propos, on mesure combien on ignore encore beaucoup de choses. La Brocéliande, les crêpes, Tabarly, certes, mais les Sept d’Ephèse, le Pain des Morts, Tadig Koz, le « sordet » de Tonquédec, cela devient plus difficile, voire totalement neuf et inédit pour la plupart de nos compatriotes. La ville d’Ys, le nom n’est pas inconnu, mais le destin de Dahu dans ses péripéties ? Sait-on qui fut exactement Marion du Faouët, bandit d’honneur ? Que Sarah Bernhardt trouva dans la partie « la plus venteuse…inaccessible…inhabitable, inconfortable» de Belle-Ile-en-Mer « un hâvre, un paradis, un refuge » ?

 

On apprend beaucoup sur les ombres et les lumières de la Bretagne, son goût pour les fêtes et les rires, ses aptitudes innées pour les grands voyages, sur le courage et le rôle primordial au plan économique des Terre-Neuvas, sur la présence de la mort qu’Ankou rappelle de temps à autres aux habitants, sur les concerts des Vieilles Charrues et les sonorités du Bagad de Nominoë. Voila un autre dictionnaire, également amoureux.

 

A signaler que dans un autre volume, cette fois regardant plus du côté de l’histoire normande que bretonne, Françoise Surcouf  remonte le temps de la mémoire du côté de Touques. Elle commente une à une ces clichés un peu usés mais si véridiques, visages oubliés d’une belle époque ! Situe-t-on facilement Touques? Il s’agit d’une petite cité qui a eu un riche passé, quand les navires y venaient accoster et qu’elle était alors la ville principale du pays d’Auge. Les quais ont disparu, la mer s’est éloignée en raison des envasements de l’estuaire, les cités côtières de Trouville et Deauville l’ont éclipsée.

 

Mais de cet hier florissant, de nombreux témoignages visuels restent, heureusement. Ce sont ces merveilleuses cartes postales aux tons dominants gris, pleines de vie saisie dans l’instant de leur déroulement, comme les écoliers en blouses et sabots, ces ouvriers remplissant les barriques de vin et de bière, ces villageois qui se reposent à l’heure de midi devant un café dont l’enseigne est « Au repos des cyclistes et au rendez-vous des jockeys », ces élégantes qui traversent en robe longue une rue où s’alignent des maisons à colombages. On apprend que Touques depuis le XIIème siècle était avec le Mont Saint-Michel le premier centre de fabrication du sel en Normandie et que l’église Saint-Pierre était un des plus splendides édifices romans de la région. Ces cartes pieusement conservées restituent une époque qui désormais fait figure d’âge d’or. Sans doute, l’existence devait pour certains être dure, mais au moins la pression moderne ne semblait pas les atteindre. A les regarder, une certaine nostalgie se ressent. L’arrêt « Touques » est fermé sur la voie de chemin de fer. Pas le chemin qui permet de revivre les fastes d’antan à travers cet album charmant.

 

Dominique Vergnon

 

Françoise Surcouf, 100 symboles pour raconter la Bretagne, les éditions du Palais, 22x29,5 cm, 152 pages, nombreuses illustrations et photos de David Bordes, octobre 2013, 24,50 euros.

Jacques Sellier, Françoise Surcouf, Touques d’antan, à travers la carte postale ancienne, HC éditions,  78 pages, 24x23,5 cm, 18,90 euros.   

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