La Riviera, l’art de vivre les Années folles

Liesse sur la place de la Concorde, flamme de la victoire sous l’Arc de Triomphe, la France exsangue exalte la fin de la Grande Guerre. La Société des Nations se met en place ; on en verra vite les limites. Le jazz s’écoute désormais un peu partout, on va au music-hall, le Tour de France s’élance à nouveau après une longue interruption, la vie reprend ses droits, personne ne peut prévoir le krach de 1929. Vivre une seconde Belle Epoque, voilà le mot d’ordre qui circule. 1920, début des Années folles. Les libertés se conquièrent, surtout celles des vogues et des mœurs. Autant que Montparnasse à Paris, la Côte d’Azur est devenue le lieu à la mode et le passage obligé de ce qui sera appelé plus tard par Alberto Moravia la jet set. La Baie des Anges, Monte Carlo, Cap d’Antibes, Juan-les-Pins, Roquebrune, Cannes et sa Croisette, Hyères, des ancrages de rêve pour ceux qui sont par nature appelés à en vivre et à se rencontrer pour en parler ou les décrire, écrivains, peintres, princesses d’un soir et princes de toujours, acteurs et actrices, danseurs, vedettes, sportifs de haut rang, tous ceux qui collectionnent les succès et additionnent les étoiles autour de leurs personnes et les font rayonner. Comme le jour de ceux du soleil, la nuit étincelle des feux de la douceur méditerranéenne. Cette société à la fois ouverte sur toute originalité et fermée à ceux qui n’en connaissent pas les rites et les codes a édicté sa charte, non écrite mais visible. Toilettes élégantes, conversations brillantes, idées piquantes, savoir vivre exquis, charme discret mais assuré, sont les clés obligatoires qui facilitent les entrées dans les villas et les hôtels où le service est un luxe naturel. Le premier de tous les sésames est sans conteste la fortune, la bonne, qui a cours plus que l’argent en tant que tel, jugé vulgaire. Il s’agit de celle qui fait de vous quelqu’un de riche mais qui ne le montre pas et le dit encore moins.  

 

Dans ce périmètre réduit, ce qui compte dans le monde d’alors se donne rendez-vous. Pour les Happy few, ne pas s’y exposer serait une erreur voire un manquement. Le hasard calculé, le suspens jeté par les dès de l’existence, les relations qui conviennent, le jeu des invitations, la renommée authentique, un talent reconnu, un ou deux défauts notoires qui rendent extraordinaires et que chacun envie, des dons de naissance ou des capacités acquises à force de travail sont les signes d’appartenance à cet univers qui gare sa Rolls ou son Hispano-Suiza sous les pins de l’hôtel du Cap Eden Roc et amarre son voilier au pied du Rocher. Aussi grisantes qu’un cocktail, aussi animées qu’une soirée au Sporting Club, aussi colorées qu’un tableau de Dufy, les réceptions se répètent, les soirées se multiplient. On s’amuse, on danse, on rit. Faire la fête n’est pas encore une de ces expressions trop usitées et populaires pour prouver que l’on sait ce qu’est le divertissement.

 

Beaucoup de clichés ont gardé en mémoire ces instants de bonheur insouciant arrachés au temps, où l’on voit Picasso se mesurer à Dali et Picabia, le duc de Windsor chaussé de sandales blanches croiser George Bernard Shaw se protégeant du soleil avec un parapluie, Marlène Dietrich lisant Paris-Var défier Paul Morand, Jean Giraudoux et André Maurois discutant assis sur le sable. Jean Murat conduit sa décapotable, Cocteau s’allonge sur le sable, Joséphine Baker est habillée de blanc. Pour les Américains, être sur la Riviera est un moment de vacances, d’utopie parfaite dont F. Scott Fitzgerald se souviendra dans Tendre est la nuit. Ceux qui sont célèbres, ceux qui l’ont été, ceux qui le seront laissent écrits sur la trame des jours, au long des anses et des golfes que baignent les courtes vague, leurs noms. Man Ray, Peggy Guggenheim, Gabrielle Chanel, Jacques Henri Lartigue, Diaghilev, les Noailles, Hemingway, Rubinstein, chacun est chic et bohême à sa manière, profite de cette végétation et de ce ciel qui dispensent leur beauté renouvelée en millionnaires. A mesure que le temps passe, « to have fun » est une règle qui fait de la Riviera un refuge béni et heureux avant le retour de l’amoncellement des nuages noirs sur l’Europe. Devant la gravité du futur, certains se sentent légers. « Je vous écris depuis la terrasse où je viens de terminer mon petit-déjeuner, de mèche avec la mer. C’est bien le paradis que vous m’aviez décrit ; les gens sont merveilleux, le soleil est chaud… ». Raymond Radiguet résume cette « parenthèse enchantée…ces dix années d’intensité » vécue entre les deux guerres par des personnalités mythiques qu’on aurait aimé connaître.  

 

En historien qui relate avec sérieux les fait et en conteur qui rapporte en souriant anecdotes et souvenirs, l’auteur qui a déjà écrit sur ce sujet parcourt avec eux tous cette côte mirifique, allume les lampes des réjouissances jusqu’au matin. Professeur d’histoire de l’art, il entre dans les ateliers des maîtres qui donnent le ton de la modernité. Il a relu les mémoires de Colette, le Journal de Gide, la vie de Mallet-Stevens et consulté archives, catalogues et documents afin de faire revivre ce temps de renommée et de créativité.   

 

Dominique Vergnon

 

Xavier Girard, The French Riviera in the 1920’s, (en anglais) éditions Assouline, 19,5x28 cm, 256 pages, 200 illustrations, relié sous coffret, mai 2015, 145 euros.   

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.