Simon Senn et l'île d'Elle – du clown au clône

Relié à la longue tradition théâtrale – celle de la confrontation en scène du comédien avec un pantin, double inerte de lui-même –  Simon Senn rapproche l’acteur vivant d'une figure inerte aux mouvements étrangement humains. Il rappelle que le théâtre est un espace intermédiaire entre la vie – vie intérieure et vie de la cité – et les mondes invisibles.

Quant à l’acteur il est le médiateur entre les deux. Dans ce but  l'auteur, basé à Genève, achète la réplique digitale d'Arielle F. sur le site 3dscanstore.com pour 10 dollars et ma licence m'offre une quasi-totale liberté avec celle-ci, ajoute-t-il.

Il utilise ce double virtuel, rentre dans sa peau et en scène avec en préambule l'injonction de Shakespeare dans La Tempête :
Ses os sont devenus corail / Perles sont ses yeux /Rien de lui ne disparaîtra / Mais il est changé / En quelque chose de beau et d’étrange.
Dès lors non seulement une transfiguration a lieu mais se déploie toute une réflexion sur l'image et ce qui en découle.

Le double ne sera pas considéré comme une machine à faire du fric mais un spectacle. Simon Senn s'en sert pour  un seul en scène. Son visage est projeté sur un grand écran  recouvert d’un masque numérique aux traits féminins. Il s'ébroue ainsi et parfois va redevenir lui-même. Il raconte son histoire, sa rencontre avec Arielle et décrit même les étapes du paramétrage de son pantin numérique.

Tout paraît simple si l'on en croit le maître de cérémonie. Un monde futur voit le jour et permet de répondre (entre autres) à la question : que peut un corps ?
Et il le prouve en devenant lui-même femme incarnée. Entre l’île des illusions d'Elle  le virtuel numérique n'est pas si loin de la magie. L'ersatz numérique peut faire retrouver à l'errant son royaume et sa liberté. Et c'est mettre à mal bien des idées reçues sur la force des technologies nouvelles et numériques.


Jean-Paul Gavard-Perret


Simon Senn, Be Arielle F, art&fiction éditions, Lausanne, juin 2020, 106 p.-, CHF 16

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