Marco Costantini dans la maison de l’être d’Emily Dickinson

Celle qui n’eut de cesse d’espérer l’envol et l’évasion jusqu’à pousser ce cri simple – Aller au ciel  et ne connut que les prisons intérieures en dépit d’un amour de la terre  plus avide de cadavre que de germination trouve dans Marco Constantini un admirateur actif. Il met ses connaissances sur les représentations et les usages du corps dans les différentes pratiques artistiques contemporaines (de la photographie et la peinture au design et à la mode)  au service de la poétesse en organisant un hommage particulier.
L’historien théoricien de l’art et commissaire d’exposition propose de manière métaphorique la reconstitution de  la maison d’Amherst avec laquelle la poétesse entra en symbiose à partir du corpus de ses 1775 poèmes – qui selon Claire Malroux sont un gouffre constellé d’étoiles dont chacune d’elles est comptée. Le livre  met en images les thèmes-clés de l’œuvre.
Marco Constantini – à travers les œuvres demandées aux artistes qu’il a appelés - laisse à vif l’âme de celle qui n’a cessé de se battre, partagée entre son besoin de respirer et son souffle coupé et qui fut avide d’éternité mais demeura toujours prise dans un désir (masochiste ?) de perdre et d’être perdue. Toutefois et contrairement à beaucoup d’exégèses le maître de cérémonie n’a pas privilégié cette seule thématique.
Tout Dickinson n’est pas en effet dans ce côté le plus noir de l’œuvre. Le livre ouvre la vie serrée, étriquée de l’auteur, ses liens figés avec ses parents proches qui l’asphyxient. Celle qui ne trouva de répit que dans l’expérience condensée de la poésie, ce cadavre exquis de sa vie où elle put faire preuve d’une indépendance psychique et intellectuelle qu’on lui refusa et qu’elle se refusa par ailleurs reçoit avec ce livre le plus pertinent des hommages.
Sublimant les lieux de la poétesse plutôt que de les illustrer les textes et images réunis en proposent une symbolique puissante car discrète, allusive, intelligente. Un tel livre atteint une grâce que bien des exégèses n'atteignent pas.

Jean-Paul Gavard-Perret

Marco Costantini, A House For E.D., art&fiction, mars 2014, 208 p.-, 34 CHF, 29€

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