Art et propagande

Adjoindre les termes d’art et de propagande dans un titre, c’est prendre le risque d’installer d’emblée chez le lecteur un horizon d’attente. En effet, combien de fois ce rapprochement n’a-t-il été usité afin d’évoquer les fresques édifiantes, les portraits héroïques, les symphonies épiques, enfin les monuments rêvés ou achevés des totalitarismes fascistes ou soviétiques ?

 

Marc Signorile a pris quant à lui le parti de déplacer la focale chronologique de cette thématique et de borner son essai de l’Antiquité gréco-latine à la fin du règne du Roi-Soleil. Est-ce à dire que les rapports entre création et pouvoir seraient vieux comme le monde ? À en croire le sociologue, oui. Pour illustrer son propos, Marc Signorile dresse un véritable panorama évolutif de cette relation pour ainsi consubstantielle, en couvrant la musique, la peinture, l’urbanisme, l’ornementation, etc. et en les mettant en rapport, pour chaque période évoquée, avec des facteurs cruciaux à la mutation des arts, comme le mécénat, la censure, l’affirmation de l’artiste et sa démarcation d’avec l’artisan, la (con)fusion des notions de Beau et de Bien. En outre, sa démarche se veut définitivement interdisciplinaire, dans la mesure où, comme il le précise dès son introduction, « l’étude de l’art dans un contexte propagandiste nécessite une approche qui relève conjointement de l’herméneutique, de l’esthétique et de la sémiotique ».

 

Certes, le pouvoir qui s’appuiera le mieux sur l’efficace du média artistique (que Merleau-Ponty qualifiait de « langage indirect ») en vue de diffuser sa bonne parole sera l’Église. Marc Signorile envisage ainsi avec minutie les productions liées aux commandes de la Compagnie de Jésus. C’est sans doute l’une des illustrations les plus parlantes de son propos : cette institution, qui fonctionnait comme une monarchie, sut s’appuyer sur la fidélité inconditionnelle de ses membres, tout dévoués à son service, et « elle utilisa à la limite de leurs possibilités les différents recours offerts par les arts conjugués pour asseoir son autorité, potentialiser son influence, s’installer durablement dans l’imaginaire collectif en créant une grammaire des images et des sons et instituer un système à l’échelle planétaire qui n’avait pas été envisagé jusque-là ».

 

Et ce n’est là qu’un échantillon de ce que recèle cet ouvrage. Le plain-chant, le vitrail, la messe, le ballet de cour sont tour à tour convoqués afin de démontrer que, depuis que l’homme s’interroge sur l’art, ses œuvres tendent à devenir « des expressions complexes de l’ordre social, qui obéissent à une dialectique entre la réalité politique et l’imaginaire ». Cette synthèse, qui reste accessible malgré quelques exigences conceptuelles, pourrait bien devenir une lecture de référence dans le corpus de tout étudiant en histoire de l’art. 

 

Frédéric Saenen

 

Marc Signorile, Art et propagande, Sulliver, juin 2012, 240 pages, 20 €.

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