Gilles Berquet : quand le magicien dose

Pour Gilles Berquet la photographie et la magie ont un dénominateur commun : la création d’une apparence qui se donne pour le réel. Pour le prouver l’artiste a développé deux secteurs : la magie céleste et la magie terrestre. Faire enter le cosmos dans une image se révèle assez simple et crédible. Mais permettre au  corps d’une femme de pénétrer dans l’image est bien plus compliqué et ce même si celle-là se laisse « prendre » (ce qui n’est pas vraiment le cas dans le livre de Julie Crenn où elle avance masquée). D’autant que le prétendu magicien emporte sans le savoir dans sa boîte noire à double fond ses propres fantasmes. Le sujet – plus qu’objet -  de ses prises  les tord à sa guise. Mais  de telles photographies émerveillent grâce à la part aveugle que le modèle cache. Ornée de strass et de paillettes la femme charme d’abord l’opérateur pour ensuite enchanter celui qu’une telle opération ferme. Ce qui est un comble puisque toute opération est avant tout ouverture… Aguichante le modèle s’exécute pour mieux couper la tête du voyeur. Le pauvre magicien ne s’en tire pas mieux : croyant scier la femme en deux elle le manipule.

 

Néanmoins Berquet pend le voyeur au gibet de ses mises en scène. D’autant que pour botter les fesses au réel il ne manque jamais d’entrain. Sous couverts d’images surannées il transforme le présent sans présent en une pseudo science-friction au sein d’une fantaisie enduite de rigueur. Qu’on se rassure : l’hygiène la plus intime restera tout compte fait celle de l’esprit. Afin d’y parvenir le photographe propose des valses communicantes. Les apparences s’y transforment en victimes militaires (de strass et paillettes) de guerres inciviles. Sous des titres harmonieux se dressent des dégommages en règle. Les raies alitées produisent des sourires charmeurs. Mais ils mordent jusqu’au croyant qui boit son Darjiling comme du petit lait maternel dans des tasses athées.  Chaque photo regorge de coups de pied aux nues et de coups d’épée dans l’O de l’histoire. Les vitriers pourraient y porter des costumes à carreaux qu’on n’y prêterait pas garde. Et le Christ lui-même n’aura d’yeux que pour ces servantes au grand cœur. Le magicien d’aube en reste lui-même le serviteur zélé. Sidéré par une voilette violette ce chat d’eau sent l’arrête de maquereau. L’attentif entendra son ronronnement lors des séances de pose.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Gilles Berquet, collection Pickpocket, Derrière la salle de bain, Rouen, 7 €.

Gilles Berquet et Julie Crenn, A l’intérieur, Derrière la salle de bain, Rouen, 12 €.

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