Joseph-Félix Bouchor, des gens et des sites

Pour le critique Camille Mauclair, Bouchor est un « portraitiste de sites ». Le mot est juste. Le peintre sait parfaitement rendre les atmosphères, pluvieuse et venteuse, religieuse et  laborieuse, en Bretagne ou ailleurs, boueuse pendant la Grande Guerre, lumineuse enfin, lors de son voyage en Italie. Il suffit de voir ses tableaux comme Marché aux bestiaux-Quimper, Le Pardon de Rumingol*, La Criée-Audierne, Les Boues de la Somme, le 12 septembre 1916 et Sorrente et le Vésuve pour que ces qualificatifs prennent tout leur sens et attestent du talent de l’artiste.

Mais le jugement du critique ne rend pas compte de tout ce que l’on voit, car si le décor est toujours présent, il prend son ampleur grâce aux personnages qui l’habitent et l’animent, ne servant en quelque sorte que de fond sur lequel la vie quotidienne manifeste ses droits. Joseph-Félix Bouchor est en effet tout autant que celui des paysages, le peintre des gens, que ce soit les bigoudènes, les bretonnes au lavoir, les marchands, les pêcheurs, les soldats, les enfants qui jouent sur la plage. Il a le don de capter en quelques coups de pinceaux les attitudes, les gestes naturels, une conversation, la vente des poissons. Il y a, dirait-on, de la rapidité dans ses notations de couleurs et de contrastes, comme si on avait là des esquisses plutôt que des œuvres totalement finies. A bien y regarder, tout y est pourtant, en détails, à sa place, dans sa justesse.
Ce même tableau, Le Pardon de Rumingol, qui semble hâtivement bouclé, est subtilement éloquent, avec cette évocation vivante du temps de repos, quand  des femmes se sont assises sur l’herbe verte et fraîche et bavardent allègrement. On retrouve cette touche enlevée dans une composition qui confirme que Bouchor a été le témoin de la scène, Noce au Faouët, où se résume « toute la vieille Armorique, qui nous est rendue présente et vivace dans ses antiques usages par le pinceau d’un peintre analyste fin et ému à la fois ». 

 

Bouchor aime les voyages. En 1870, il s’embarque pour un périple qui le mène en Argentine et en Martinique. En 1881, ce sera son premier voyage au Moyen-Orient. En 1911, séjour en Bretagne, une terre qui lui est chère pour ses traditions et le labeur opiniâtre de ses habitants.
Plus tard, plusieurs années de suite, il visite l’Italie, de la Toscane à la Campanie. Durant la Première Guerre, il a est nommé peintre du musée de l’Armée. Des lieux et des époques d’où il retire comme un enrichissement continu, pour lui et pour son travail. Il rapporte de chacun de ses déplacements des tableaux vifs, expressifs, des documents précis, mais pas seulement, une présence authentique qui interprètent dans la réalité les faits et les gens.  

 

On lit que Bouchor est à la fois et tour à tour « académiste, orientaliste, naturaliste, paysagiste, portraitiste, peintre militaire ». Il ne se revendique pas impressionniste, tant mieux, alors que le mouvement a tant d’adeptes. Il vit au moment où Matisse et Picasso triomphe, il se tient à l’écart des nouveaux courants modernes, il reste fidèle à sa manière. Il est et reste un « petit maître ».
Sans doute, mais « personnage attachant, il sut regarder son époque et d’après ce que nous connaissons de ses idées, il en fut aussi le produit ».

Ces pages qui accompagnent l’exposition qui se tient au Musée des Beaux-Arts, La Cohue, à Vannes, le prouvent. Bouchor a surtout une capacité à traduire à sa façon, toute personnelle, l’instant qu’il a choisi et qu’il déroule sous nos yeux, en direct. Il a exposé pendant plus de cinquante ans au Salon des Artistes français, signe d’une réussite évidente et d’une reconnaissance unanime et qui se renouvèle aujourd’hui. 

 

 

Dominique Vergnon
 

Marie-Annie Avril (sous la direction de), Joseph-Félix Bouchor, instants de vie (1854-1937), In Fine éditions d’art, 250 x 200m, 78 illustrations, mai 2019, 96 p.-, 18 euros.

Musée des beaux-arts la cohue

 

 

* Le peintre écrit ainsi le nom de la commune de Rumengol

 

 

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