"La Guerre des dieux" de Mangin & Dean n'est ni bonne ni mauvaise : elle est juste très librement adaptée d’Homère...

Neuf ans déjà. Neuf ans, presque dix, que l’armée grecque assiège la ville de Priam. Sur les murs construits par Poséidon, les troyens trop vieux pour combattre regardent l’armée achéenne sous le commandement d’Agamemnon s’avancer. Et lorsque les portes s’ouvrent, ce sont les forces d’Hector qui se mettent en place. Un assaut de plus. Et toujours pas de victoire en vue. Pour cependant ne pas perdre la main dans la technique difficile du pillage, les forces achéennes s’en vont raser de temps à autre quelques cités avoisinantes, alliées à leur adversaire d’Asie Mineure. Ainsi des ressources rentrent dans les coffres des rois grecs, des nouvelles femmes, des chevaux... Car le cœur de la Guerre de Troie est là. L’Iliade n’est que la belle fable d’Homère pour enjoliver une guerre entre deux puissances maritimes voulant contrôler la mer Egée. Les histoires de cœurs des princes grecs ne sont que peu de chose en réalité. La chute de Troie, objectif de cette guerre de dix ans, c’est la domination de la Grèce jusqu’au détroit des Dardanelles.


Cela n’est pas caché dans cet ouvrage. Dès la première discussion fraternelle, et de fait musclée, entre Agamemnon et Ménélas, le roi des rois de l’armée assiégeante affirme : Aurais-tu oublié qu’on est là pour récupérer ta femmes ? Alors silence. Silence. Même si on sait que tout ça n’est qu’un prétexte pour piller tranquillement les villes d’Asie. L’or est donc bien ici le nerf de la guerre. Cependant cette motivation, qui semble convenir à tout esprit rationnel, est incorrecte si nous rajoutons un facteur dans l’équation : les dieux. Présent durant tout l’Iliade, ils apparaissent ici dès le départ. Mais ils ne sont pas réellement les dieux que nous connaissons.

A quoi reconnaissons-nous Athéna ? A sa chouette, à sa tenue de guerrière comprenant lance, casque et bouclier. Zeus lui tient la foudre, Arès dispose de pectoraux à faire trembler un gouverneur de Californie, etc. Ici point de cela. Seulement plusieurs créatures vertes se ressemblant... Ils sont nombreux dès le commencement. S’ils semblent arriver en second dans la première planche, les humains prenant les premières cases, ils sont en réalité bien plus importants que ces frêles grecs et occupent les pages suivantes, discutant et nous permettant de mieux situer l’histoire.


Cependant une donnée change dans ce récit si connu. Car si les dieux soutiennent tel ou tel camp, ce n’est pas pour une question de pomme d’or ou d’amourette divine mais pour un pari... Comme nous ferions au PMU, comme nous ferions pour soutenir telle ou telle équipe de foot lors d’un mondial, les dieux parient sur les hommes et leurs résultats guerriers. Mais quel peut donc être l’enjeu ? Une question dont la réponse viendra...

Donc nos « vaillants » héros, qui en réalité ne sont simplement que de grosses brutes, reviennent de la cité de Chysé où ils ne laissent que flammes et cendres. Et là va commencer la fameuse histoire de l’Iliade car le roi des rois achéens, dans son immense bouffonnerie, a décidé de ramener la prêtresse d’Apollon. Mais l’armée est malade dès son retour au camp. Rapidement le lien entre la prêtresse et la maladie est fait pour certains : le dieu des arts et des voyageurs n’est pas content. Malgré cela Agamemnon ne veut pas se séparer de la belle : « Ces gros seins valent bien deux ou trois petits malades » affirme le frère de Ménélas. D’autres ne sont toutefois pas de l’avis des devins et prêtres, tel Ulysse ce héros rusé, et affirment que la peste vient de la ville de Chysé et que l’armée l’a simplement contractée lors du pillage.

Qu’importe la vérité, cette scène est attendue non pour le débat d’argument entre croyance religieuse et raison mais parce que nous retrouvons le point d’ouverture traditionnel de L’Iliade. Après une introduction étonnante et totalement inventée, le récit reprend avec une scène connue de la littérature.


L’Iliade comme nous le l’avons jamais vue  dit l’éditeur... Ou librement inspiré de l’Iliade d’Homère. Eh bien je peux vous dire que pour avoir été bercé au récit d’Achille et d’Hector, avoir grandi en récitant par cœur les douze Olympiens et leur caractéristiques, cette BD est très librement inspirée de L’Iliade et que je n’ai jamais vu L’Iliade comme cela. Par exemple lorsqu’Achille provoque Hector en duel suite à la mort de Patrocle et que celui-ci se défausse, restant à l’abri de ses remparts, le héros grec décide simplement d’aller raser une ville alliée à Troie... Thèbes. Tiens donc. Avec quelques connaissances en géographie et un bon atlas, Thèbes est effectivement une ville située autour de la mer Egée. Mais elle n’est surement pas en Asie mineure : la cité d’Œdipe et d’Antigone est de l’autre coté, sur le rivage Est de la mer en Grèce. A l’autre bout du monde à l’époque. Donc, si nous suivons la logique, Achille prend le bateau, traverse la mer Egée et revient en Grèce pour piller une ville puis il retraverse la mer Egée pour revenir en Asie mineure assiéger Troie. Or ce qui marque la guerre de Troie (et surtout l’après- guerre de Troie avec la malédiction des Atrides ou l’Odyssée d’Ulysse), c’est que les hommes furent absents du sol grec durant dix ans. Si sur un coup de tête les guerriers rentrent au pays et reviennent au front, où allons-nous ?

 

D’un point de vue graphique disons que c’est la première fois que je rencontre ce style de dessin. Dean, le dessinateur, travaillait avant dans la gravure sur métal. Cela se ressent dans son trait, extrêmement droit et anguleux. Les personnages principaux sont travaillés sans qu’il n’y ait de fioritures mais le reste du dessin est très souvent flou : dans les combats, deux guerriers sont bien dessinés, le reste est esquissé. Cela pourrait être magnifique, mais l’impression ici est que le dessin a été abandonné en cours de route. Quant au rythme dans les planches, il est très inégal. Quelques cases sont superbement bien amenées et présentent un réel intérêt mais le reste est très souvent insipide : les guerriers posent sans réel mouvement. Finalement, ce style de dessin dispose d’un réel potentiel, mais ici il n’est pas bien utilisé. Ajoutons que la couleur ne fait rien pour l’améliorer : des couleurs d’armures aucunement réalistes, mais surtout un fond de la case, qu’il soit rempli de guerriers ou de bateaus, simplement grisâtre...

La Guerre des Dieux est en soi un livre qui n’est pas à rejeter en bloc : c’est une manière comme une autre de voir L’Iliade pour un auteur. Mais si c’est pour avoir une fiction sur la guerre de Troie, je préfère largement aller me pencher sur Dan Simmon. Allez, d’ailleurs je repars lire Ilium car tant qu’à avoir une adaptation très librement inspirée d’Homère, je préfère en lire une excellente plutôt qu’une moyenne ! Après il reste toujours un tome à Mangin et Dean pour me convaincre... En attendant je ne conseille pas forcément cette BD pour qui veut connaitre l’histoire d’Achille et d’Hector même si je ne la jette pas dans le Styx, le fleuve de l’oubli.

 

Pierre Chaffard-Luçon

 

Article publié le 29 juillet 2010 sur lelitteraire.com

 

Mangin & Dean, La guerre des Dieux, tome 1 : "De bruit et de fureur", Soleil, collection Quadrant, mars 2010, 47 p. - 12,90 €

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