Bohemian Flats de Mary Relindes Ellis

En 2007, l’Américaine Mary Relindes Ellis faisait une entrée remarquée en littérature avec Wisconsin, (Buchet Chastel) un roman envoûtant qui entraînait le lecteur dans les plaines d’un Midwest aussi farouche que secret. Avec Bohemian flats, l’auteur nous conduit une fois encore au cœur des Etats-Unis, entre Minnesota et Wisconsin, dans une région considérée parfois comme le parent pauvre de la littérature américaine. Loin du faste de la côte ouest ou du fast de la côte Est, l’écriture de Mary Relindes Ellis suit le rythme lent des hommes et des femmes qui travaillent ces terres sauvages du Nord et courbent l’échine devant les drames émaillant leur existence. Mais entrons un instant au cœur du récit. Les Bohemians flats, (ou little Bohemia) ce sont ces petites baraques construites en bordure du Mississipi, à la marge de Minneapolis. C’est là, dès la fin du XIXe siècle, que se retrouvent les migrants européens, Slovaques, Allemands, Tchèques, Polonais, venus partager un American dream qui vire le plus souvent au cauchemar.

Arrivé sur le pont de Washington Avenue, il s’arrête un moment, toujours perdu dans ses pensées. Il a beau se rappeler les plaisirs auxquels il a goûté cet après-midi, il n’en demeure pas moins écœuré par la ville. Cette Amérique n’est pas celle qu’il avait imaginée. Les immigrés n’y sont pas les bienvenus et nulle part cette réalité n’est plus manifeste que sur les flats.  Ainsi pense Raimund Kaufmann, qui, en cette année 1896, a quitté sa Bavière natale, pris en étau entre le sectarisme de son clan familial et la morale rigide de l’Allemagne du Kaiser. Puis la Grande Guerre éclate. De plus en plus d’immigrés choisissent de s’enrôler sous la bannière étoilée pour prouver leur attachement à leur nouvelle nation. Raimund sera l’un d’eux. Il retrouvera ainsi l’Allemagne, où, en marge de la guerre, il sera confronté au passé douloureux de sa famille. Car Bohemian flats est avant tout une fresque familiale, l’histoire d’un clan égaré dans la grande Histoire de l’Amérique. C’est aussi pour Mary Relindes Ellis l’occasion de décliner les thèmes qui avaient fait la force et la grandeur de son premier roman : les époux et les pères violents, les femmes aux dons étranges, les atrocités de la guerre et, bien sûr, les grands espaces, traversés par un Mississipi omniprésent et peuplé de légendes, que l’auteur élève ici au rang d’un véritable personnage. Ainsi, Mary Relindes Ellis construit son œuvre, patiemment, en restant fidèle à elle-même, aux paysages qu’elle connaît depuis toujours et aux images mentales qui ne cessent de la hanter.


Thierry Maugenest


Mary Relindes Ellis, Bohemian flats, traduit par Marc Auligny, Belfond, janvier 2014, 22,50 euros. 437 pages

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