"Le langage des tétons", premier roman épistolaire et courtois quoiqu'osé !

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La littérature précieuse subit en 1659 un coup pour ainsi dire fatal : Molière fait représenter ses Précieuses ridicules et emporte avec le rire une forme de relation humaine faite en grande partie d’hypocrisie et d’affèteries par trop outrancières des circonvolutions de la langue. Mais les préciosités sont aussi source de richesse, d’une galanterie non infatuée d’elle-même et de drôlerie, comme le montre cette découverte surprenante et joliment polissonne : le Langage des tétons.
 
Axiane, jeune demoiselle de fort grande beauté et de haut rang, éconduit régulièrement Aristipe, son amant de cœur pour qu’il cesse enfin de soupirer. Las, la belle l’est trop et le jeune homme est tout à son affaire quand elle lui commande une galanterie sur le langage des tétons, pour qu’elle puisse montrer à ses amies son grand talent dans les discours et, par là même l’étendue de son emprise sur lui. Le galant s’exécute bien docilement et, pris au jeu, ne dresse pas un blason aux seins, mais réellement un discours sur les tétons en tant qu’ils disent ce que, parfois, le cœur voulait tenir secret. 
 
« Outre le langage qu’ils tiennent, ils font souvent parler ceux qui les voient […] Voilà si je ne me trompe le langage des tétons et quel est celui qu’ils font tenir et si celles qui les font parler voulaient prendre la peine de nous les montrer, ils nous expliqueraient des choses que nous ne savons peut-être pas. »
 
Sans jamais déchoir des règles strictes du beau parler cher à la Marquise de Rambouillet, dans la chambre bleue de laquelle se tenait Salon précieux, Aristipe fait sa cours aux tétons d’Axiane, leur demandant en secret qu’ils veuillent bien lui permettre un accès moins sommaire à la personne de leur maîtresse. L’échange épistolaire change de ton, l’on badine volontiers, il est question d’amour et d’invitations. Mais la belle est d’une constante froideur, « indifférente pour les hommes » et malgré le « panégyriques aux tétons » que dresse Aristipe, malgré des lettres qui ne s’adressent plus qu’aux seuls tétons de la belle, le bastion semble imprenable !
 
Délicieusement léger, cet échange épistolaire, exhumé d’une masse de vieux papier par Bertrand Galimard-Flavigny que les bibliophiles connaissent bien et qui dresse une petite anthologie des tétons dans sa préface, est peut-être le premier ouvrage de fiction sous forme de récit par lettres dans la littérature, ce qui n’est pas rien tout de même.
 
Cet étonnant Langage des tétons est complété ici par les Lettres de Vincent Voiture, grand maître de la rhétorique précieuse, qui donne dans le choix établi par Jacques Damade le plus savoureux de cette légèreté de ton d’une grande élégance et, le plus souvent, d’une riante drôlerie. Voiture (1597-1648) réalise dans ces lettres « le miracle épistolaire de l’abolition des distances et de la recréation d’un monde meilleur » (préface) et dont chacune, par ses grâces légères et son mordant, est un « brevet de l’hôtel de Rambouillet ».
 
Loïc Di Stefano

Anonyme, Le Langage des tétons suivi des Lettres de Vincent Voiture, La Bibliothèque, février 2005, 124 pages, 13 euros

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