Charlotte Rogan, Les Accusés : Jusqu'où peut-on aller pour survivre?

Eté 1914. L’Europe va entrer en guerre et l’Impératrice Alexandra, un somptueux paquebot transatlantique fait naufrage suite à une mystérieuse explosion. A son bord se trouve Henry Winter, un riche banquier et sa jeune épouse Grace qui effectuent leur voyage de noces. Malgré la panique, Henri trouve une place à sa femme dans la chaloupe 14. Grace y rejoint trente-huit autres personnes, bien plus que la chaloupe ne peut en contenir. Pendant vingt et un jours et vingt et une nuits, les rescapés vont devoir faire face aux éléments, à la faim, à la soif, au froid et à leur pire ennemi : la peur. La chaloupe menace de chavirer, les vivres s’amenuisent et les tensions se font de plus en plus présentes. Une évidence se fait jour : pour que certains d’entre eux survivent, d’autres devront mourir. Un choix guidé par l’instinct de survie et la loi du plus fort. Grace va faire partie de ceux qui vont survivre mais à quel prix ? C’est ce que le tribunal devant lequel elle comparait avec deux autres survivantes, va essayer de déterminer. Mais la justice des hommes peut- elle juger ce genre de situation extrême où la survie est en jeu ?

 

Charlotte Rogan aborde ici le thème de la survie et des limites de la morale humaine dans des conditions extrêmes. Elle s’est ici inspirée d’affaires criminelles du XIXème siècle (Voir interview) où des marins naufragés étaient traduits en justice devant les tribunaux. Les comptes rendus montrent que pendant des années, il était jugé acceptable de tuer d’autres personnes pour survivre à partir du moment où le choix était équitable, suite à un tirage au sort par exemple. Toutefois à la fin du siècle, ces décisions favorables aux accusés ont commencé à se faire plus rares dans la mesure où les tribunaux ont remarqué que le choix prétendu équitable, désignait souvent les plus faibles. Une idée reprise par l’auteur lors du choix des « sacrifiés » à la courte paille. Grace émet d’ailleurs ses doutes concernant ce hasard arrangeant. L’auteur, par l’intermédiaire de la narratrice, pose cette question dérangeante : jusqu’où serions-nous prêt à aller pour survivre ? Comment réagir lorsque la morale disparaît au profit d’un état de nature où règne la loi du plus fort ?

 

Une question qui devient de plus en plus obsédante au fur et à mesure des chapitres. De façon insidieuse, l’auteur dépeint le cheminement qui mène à un meurtre, pas vraiment voulu mais nécessaire. L’action se déroule lentement : les premiers chapitres retracent le naufrage, l’installation dans le canot dans l’attente des secours qui ne devrait pas tarder. Puis au fur et à mesure que le temps s’étire, qu’il devient évident que ces derniers n’arriveront pas, la tension psychologique grandit parallèlement à celle se développant entre les survivants. L’objectif est de rapprocher au plus prêt le lecteur de l’isolement de Grace face aux événements. La narratrice n’essaye pas de se justifier réellement : elle veut juste retracer les événements jusqu’à l’événement qui l’a conduit devant le tribunal. Ni bonne, ni mauvaise, pas plus courageuse qu’une autre, Grace n’est pas une héroïne. Sa survie, elle la doit surtout à son endurance et à sa capacité d’adaptation. Une capacité qui va lui permettre de survivre également au procès, un procès où le sexe faible est mis en accusation. Sans en révéler trop, l’on se rend rapidement compte que le statut de survivante et de femme font des trois accusées des coupables parfaites comme le montre la répartition des témoignages à charge et à décharge.

 

Le point de vue de J.M Coetzee, prix Nobel de littérature en 2003, se comprend donc parfaitement : « Charlotte Rogan narre le naufrage et la survie avec une feinte simplicité pour mieux dépeindre notre tendance naturelle à l’aveuglement. » Un mystère cependant demeure : qui est véritablement Hardie ? Plusieurs pistes sont lancées et l’on en vient même à se demander s’il n’est pas responsable du naufrage du paquebot. Bien que fictif, Les accusées est donc un roman fort qui interroge sur notre instinct de survie dans la lignée Les survivants de Piers Paul Read.

 

Julie Lecanu

 

Charlotte Rogan, Les accusées, traduit de l’anglais par Vincent Hugon, Fleuve noir, août 2012, 272 pages, 18,50 euros.

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