Les frères Coen s'emparent du Western et signent un remake culotté et réussi

Cartoon Western ?

Lorsque Frank Ross est lâchement assassiné par son employé Tom Chaney, sa fille Mattie Ross ne vit alors que dans le but de le venger. Cette adolescente à l’aplomb certain se met en quête de son destin flanquée du marshal Rooster Cogburn et du Texas ranger LaBoeuf. Au cours de cette improbable chevauchée, on se complaît à assister à un démantèlement en règle des bases du western classique, aux côtés de ces héros peu ordinaires.

« Le méchant s’enfuit et personne ne le poursuit »

Cette citation biblique est finalement le leitmotiv du roman original et de son adaptation elle-même, puisqu’elle remet en cause les fondements mêmes du western classique. Retour en arrière. Les frères Coen succèdent ici à Henry Hathaway dans l’adaptation de l’œuvre de Charles Portis (1). Véritable succès littéraire à l’époque, Charles Portis s’emploie finalement à enterrer vingt-cinq ans de classicisme autour du genre américain mythique par excellence. On est en 1968, le western spaghetti est à son apogée et Sergio Leone a depuis longtemps pris à contre-pied les standards hollywoodiens et la manière de montrer l’Ouest sauvage. Portis s’engouffre lui aussi dans cette brèche avec ce roman débridé. Il prend ainsi une adolescente comme chantre de son récit (à l’encontre total de la « misogynie » propre au genre), elle-même ni innocente ni ingénue ; elle ne comprend que fort bien la cruauté du monde extérieur et qu’adopter un comportement identique est le seul gage de survie. Le cynisme remplace la vertu de la demoiselle en détresse, les derniers fragments de l’enfance brisés avec la vie de son père. Et que dire de ses comparses ; le mythe du cowboy héroïque est bien loin avec ces gueules vieillissantes et où seul l’appât du gain semble être la seule ligne de conduite de Coburn et LaBoeuf. Mais pourquoi les en blâmer puisque comme le montre si bien la première citation, il n’y a ni loi ni morale autre que l’anarchie dans cet environnement. On est très loin du manichéisme coutumier au genre mais bel et bien dans un décor gris changeant sans réelle conscience.

De la démythification au cartoon

On peut se demander légitimement pourquoi les frères Coen se sont essayés ici au western, genre finalement très lointain de leur univers burlesque et cartoonesque. Est-ce pour mieux rendre la pareille à leur ami de toujours Sam Raimi ? Faire tout comme lui un western (2) comme lui-même s’était essayé au film noir tout comme eux (3) ? Et pourquoi une adaptation littéraire au lieu d’un scénario original ? Répondre à ces questions serait vain surtout ici, mais quoi qu’il en soit la démarche des Coen au delà de la simple adaptation mérite l’attention car le récit finalement tient souvent plus de la démarche prosaïque que de l’image sur pellicule pure et simple. 

Après leur hommage à l’Odyssée il y a quelques années (4), les Coen adoptent une narration tenant plus de l’onirisme que du film d’action traditionnel. Mattie Ross nous berce-t-elle comme ces histoires que l’on raconte aux enfants avant de les coucher ? A-t-elle vraiment vécu tout cela ou tout ceci n’est-il que la douce illusion d’une adolescente traumatisée ? On peut se le demander de temps à autre tellement la sitiation générale semble incongrue. En outre, les Coen poursuivent la démythification du genre prise par Portis par leur parti pris visuel qui leur est propre. En nous donnant des tronches plutôt que des jeunes premiers, avec des héros tenant plus de perdants qu’autre chose ils cassent la vision du cowboy héroïque de John Ford ou Anthony Mann. La mise en scène renforce cette directive, le lyrisme des décors naturels fait place à une nature plus menaçante que jamais ; le soleil de plomb fait ainsi place à la neige dans une scène aussi éthérée que les flocons virevoltants. Enfin, la seule véritable scène d’action tourne court, le burlesque et le cartoon chers aux scénaristes de Mort sur le grill tranche radicalement avec la bravoure de Rio Bravo et la froideur de La Horde Sauvage.

On ressort intrigué de cette expérience, véritable ovni, pas aussi abouti que No Country For Old Men, pas aussi jouissif que The Big Lebowski, mais indéniablement culotté.


François Verstraete

(1) Film de 1969, sortie en salles sous le titre français Cent dollars pour un shérif, avec John Wayne, Glen Campbel, Kim Darby, Robert Duvall

(2) Mort ou vif de Sam Raimi.

(3) Face au succès critique de Fargo, Sam Raimi s’est lui aussi dans l’aventure du film noir avec Un plan simple.

(4) O’Brother.

TRUE GRIT 
Un film de Joel Coen et Ethan Coen
d'après le roman de Charles Portis
Sortie en salle en France février 2011
avec Jeff Bridges, Matt Damon, Josh Brolin
2h05

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