Enfin tous les "Blade Runner" regroupés dans un magnifique coffret

Le Roman de Runner

Ressortie de Blade Runner en dvd sous différentes formes (double dvd, coffrets…). Occasion pour les fans de découvrir des éditions qu’ils n’avaient pas toutes vues. Et pour les autres de découvrir tout simplement l’un des plus grands films de science-fiction de l’histoire du cinéma.

Vingt-cinq ans après sa sortie, Blade Runner s’est imposé comme un classique, mais il convient de toujours poser une question préliminaire à propos de ce classique : quel Blade Runner au juste ? Car comme pour certaines pièces de Corneille, comme pour le Faust de Gœthe ou le Tendre est la nuit de Fitzgerald, il existe plusieurs versions du film de Ridley Scott. Récemment encore, les « anciens » qui avaient pu voir en 1982 l’édition princeps parlaient avec émotion de la fameuse voix off supprimée par la suite… 

La publication chez Warner d’un coffret regroupant enfin tous les Blade Runner (quatre au total) va permettre à chacun d’y voir un peu plus clair.

Les différentes moutures du film s’expliquent par le fait que sa genèse même a été difficile (1). Philip K. Dick, par exemple (même si son exemple est un peu à part…), a toujours condamné, dès le départ et jusqu’à sa mort, ce que Ridley Scott avait fait à l’écran de sa nouvelle Les Androides rêvent-ils de moutons électriques ? On peut, bien sûr, ne pas partager son avis : aucun des nombreux films inspirés par ses nouvelles (y compris le très amusant Next sorti il y a quelques mois) ne se hisse à la cheville de Blade Runner. En fait, il y a probablement un malentendu : le film de Ridley Scott est moins une adaptation qu’un prolongement, qu’une démultiplication de la nouvelle de Dick. 

Au départ, il y a donc ce flic nommé Deckard qui, sur une terre où se confondent chair et acier, part à la poursuite d’êtres artificiels hors-la-loi et tombe éperdument amoureux d’une femme appartenant à ce groupe. Dans l'œuvre de Dick, qui joue avec des réalités toujours floues et changeantes, on s'intéresse essentiellement à l'acceptation d'une nouvelle forme de vie, si artificielle soit-elle : elle fonctionne après tout aussi bien que les autres. Nouvelle forme de vie, nouvelle forme de société… Mais la nouvelle société ne diffère pas fondamentalement de l’ancienne, et la réflexion de Dick s’arrête là. Les Moutons électriques occupent probablement une place assez mineure dans son œuvre.

Scott a conservé cette réflexion sur l'intelligence artificielle et sur la manière dont celle-ci pourrait se fondre avec nous, mais il a fait de son film une œuvre poétique et envoûtante, dans ses mots (y compris dans les silences de Rutger Hauer) et dans ses images. L’hommage aux films noirs — Harrison Ford semble tout droit sorti d'un roman de Chandler et son Deckard rime presque avec Bogart —, loin d’être gratuit, est là pour nous montrer, ou plutôt pour nous suggérer que l’enquêteur enquête tout autant sur lui-même que sur ceux qu’il pourchasse. Peut-être, sans le savoir, est-il d’ailleurs l’un d’entre eux. Leur révolte contre le caractère éphémère de leur existence n’est de toute façon qu’une métaphore du désarroi de tout être humain normalement constitué face à la brièveté de la vie. La conception des décors contribue largement à l’identification du spectateur avec les personnages : le Los Angeles qu’on nous présente est plus que vraisemblable, car ce n’est pas un Los Angeles recréé de toutes pièces, mais une extrapolation du Los Angeles déjà existant. On n’a pas reconstruit la ville ; on a simplement surélevé ses immeubles. Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre… 

A sa manière donc, et quoi que Dick lui-même ait pu en penser, Scott a créé une charnière cinématographique qui fait fidèlement écho à la charnière littéraire que représente Dick. Les Moutons électriques et les autres nouvelles de celui-ci font la jonction  entre une science-fiction classique (Asimov, Heinlein, Van Vogt…) et la science-fiction des années quatre-vingt dont William Gibson a été le fer de lance. Blade Runner est le pont entre, d’un côté, Métropolis et 2001 et, de l’autre, la révolution amenée par Mamoru Oshii avec Avalon. On pourra regretter que, dans le quart de siècle qui vient de s’écouler, Ridley Scott semble avoir souvent préféré aux reflets sombres de son joyau noir les splendeurs vaines de machines bien faites mais très vite oubliées.

François Verstraete & FAL

(1)  Le film Blade Runner a donné lieu à différents ouvrages, mais le meilleur d’entre eux, indispensable si l’on s’intéresse à sa genèse complexe et à son tournage, est incontestablement Future Noir : The Making of Blade Runner, par Paul Sammon (Harper Paperbacks, 1996). Sammon intervient d’ailleurs abondamment dans les commentaires du coffret dvd qui vient de sortir.


BLADE RUNNER 
un film de Ridley Scott
d'après le roman de Philip Kindred Dick
décembre 2007 (sortie 1982), avec Harrison Ford, Rutger Hauer, Sean Young
39,99 € (prix du coffret)

BLADE RUNNER
Philip Kindred Dick, traduit de l'anglais (USA) par Serge Quadruppani, J'ai lu, septembre 2001, 250 pages, 5 euros




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